Je voulais vous dire…


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lundi 4 mai 2009

Les mystères du dictionnaire

Quand j’étais petit garçon, je lisais beaucoup. Enormément même… Je dévorais un peu tout et n’importe quoi, tout ce que la maigre bibliothèque familiale recelait plus celle de mon grand-père un peu plus étoffée. Dans la seconde j’y trouvais surtout des ouvrages sur la deuxième guerre mondiale, romans et récits ainsi que la fameuse édition Fleuve Noir si riche de romans d’espionnage à la sauce Guerre froide… Bien avant l’âge de douze ans, je pouvais déjà parler facilement de l’opération Barbarossa, de la bataille de Stalingrad ainsi que de la résistance sur le plateau des Glières. Mais aussi je vivais mes premiers émois lorsqu’OSS 117 caressait la gorge offerte d’Irina, la pulpeuse espionne du KGB. Bien que très jeune, j’avais bien compris que la gorge en fait, était une ancienne façon de décrire ce qui se situait un peu plus bas sur le corps de la femme… Bref, pour m’évader un peu d’un climat familial délétère, je me plongeais dans la fiction et l’imaginaire.

Mais je ne lisais pas que de la fiction, j’adorais lire aussi le… Dictionnaire ! Chez mes parents nous avions un exemplaire du Larousse illustré, et pour autant que je m’en souvienne je passais des heures à l’éplucher ! Ca commençait toujours de la même façon, avec une recherche dans un but précis : Je l’ouvrais pour trouver une définition ou une orthographe, puis bien vite je digressais… D’abords vers les pages contigües, puis vers la planche en noir et blanc ou en couleur la plus proche… Je m’extasiais devant les architectures exotiques. J’analysais on ne peut plus sérieusement l’évolution de l’épée depuis le glaive romain jusqu’à la baïonnette pour MAS 36. Je décortiquais avec soin les planches colorées où s’ébattaient dans une même forêt luxuriante ce que l’Asie recelait de mammifères. Je rêvais pendant des heures devant les cartes de pays lointains…

En fait, maintenant que je ne suis (presque) plus un petit garçon, je me rends compte que ce que je recherchais dans les dictionnaires et dans les encyclopédies était complexe.
Je voulais rêver pour oublier ma vie de tous les jours, mais je cherchais également à apprendre des choses.
Je sais, ça peut vous paraitre bizarre que lorsqu’on a dix-douze ans on ait envie de faire autre chose que de jouer ou de regarder la télé… Sauf que chez moi, la télé était rigoureusement réglementée et que je me suis vite aperçu que la lecture comblait bien plus efficacement l’ennui que les légos ou les petits soldats… En plus, après faut ranger et c’est chiant !

Et puis, je me suis rendu compte très vite que le savoir, la connaissance était une arme efficace contre les méchants que j’avais à combattre chaque jour. Car quand on est gamin, on ne s’en rend pas forcément compte sur le moment, mais la vie est très dure. Donc, l’arme gwendalienne par excellence devint le savoir. Avec lui, je renvoyais dans leurs buts les plus vindicatifs de mes camarades de classe. Avec lui, j’échafaudais bientôt mes plans de défense contre la pression familiale… Bref, savoir des choses que les autres ne savaient pas me rendait spécial à mes propres yeux, c’était ma façon à moi de me distinguer des autres et croyez-moi à l’époque j’avais bien besoin de ça !

Bon, tout ça pour vous dire que je suis curieux d’apprendre et que j’aime les dictionnaires… On va encore dire que je suis un spécialiste des entrées en matière qui n’en finissent pas, mais que voulez-vous… Au départ je veux vous parler d’un truc, qui me fait penser à un autre truc, qui demande que j’explique encore un autre truc… Et moi, je me laisse embarquer dans l’onanisme littéraire et comme toujours, j’en fais des tonnes… mais bon, à force vous devez avoir l’habitude, non ?

En fait, au départ, je voulais vous raconter une histoire.

Un jour, il y a huit ou neuf ans, je ne sais plus trop, je me suis laissé embarquer dans un vide grenier par un collègue de travail et sa bande de copain… Pour moi, ce fut une première, et une dernière aussi… Mais bon, toujours est-il qu’au bout de quelques heures je m’arrêtais devant un mec qui vendait des bouquins. Sur l’étal assez bien achalandé je tombais alors en arrêt devant les deux tomes intitulés Le Larousse pour tous.
L’aspect défraîchi de sa couverture, la couleur jaunâtre de ses pages, la finesse de ses gravures, tout cela fit que je craquais littéralement pour ce dictionnaire, et il m’en coutât 30 francs. (Vous vous souvenez de notre monnaie nationale ? Elle ne vous manque pas un peu ? A moi si…)
Sitôt revenu chez moi, j’ai commencé à farfouiller un peu dedans à la recherche d’une information sur la date d’édition… Et bien, j’ai eu beau chercher partout, impossible de dégoter une date quelconque ! Rien dans les pages intérieures, rien nulle part…
Sur le coup j’étais bien embêté je vous l’avoue… C’est alors que j’ai eu l’idée de prendre le problème à bras le corps et d’enquêter. J’ai tracé sur une feuille de papier la ligne du temps en y notant les dates qui me semblaient importante.
La première chose qui m’a sauté aux yeux, c’est qu’en regardant une carte au hasard, j’y vis l’Empire des Indes. Diantre ! C’est donc que mon dico était antérieur à l’indépendance, c'est-à-dire 1947… 47 c’est après la deuxième guerre mondiale, donc je cherche à guerre… Rien concernant un conflit mondial ! Même pas la Grande Guerre ! Serait-il possible que ces deux bouquins miteux soient antérieurs à 1914 ? Je continus donc en cherchant des indices sur les cartes du monde J’y découvre avec une joie enfantine des noms aussi bizarres que lointains : Les Empire Allemand, Russe, Chinois, Austro-hongrois, l’Indochine, l’AOF, l’AEF…
Avec ce Larousse, j’ai non-seulement l’impression de voyager dans l’espace, mais aussi dans le temps. C’était génial !
Finalement, c’est en regardant à Aviation que j’ai eue ma réponse. En effet, le dernier modèle présenté était le monoplan Blériot qui datait de 1913… Le mystère était donc résolu. J’avais donc entre les mains l’édition d 1913 du Larousse pour tous !

Je ne vous cache pas que ces deux tomes sont pour moi les deux bouquins les plus précieux de ma bibliothèque… Je ne les lis pas souvent, un peu comme si je voulais économiser mon plaisir, mais à chaque fois que je le fais, je voyage.
Je voyage, comme je vous l’ai déjà dit, dans le temps et l’espace. J’ai sous les yeux la preuve évidente que la connaissance est une chose en perpétuelle évolution. Que bien finaud serait celui qui peut dire de quoi demain sera fait…

Et puis, en feuilletant de -ci de-là, je tombe parfois sur une trace laissée par le ou les propriétaires successifs de ces livres. Un mot souligné, un marque-page… Comme à la page 580 du premier tome. Une feuille de papier y est glissée. Un simple petit tract publicitaire ventant les mérites des postes TSF de la marque Hermès prévue spécialement pour les régions montagneuses ! Il propose des crédits à partir de 45 francs par mois et un cadeau surprise à tout acheteur ! Un bout du feuillet manque dans le coin supérieur gauche… Sans doute quelqu’un aura-t-il eu besoin d’écrire une petite note…

A la page 250 du deuxième tome, alors que la lettre R magnifiquement ornée annonce les définitions des mots commençants par elle, un énigmatique feuillet violet plié en deux me laisse perplexe. Il s’agit d’un plan tracé au crayon noir, indiquant comment se rendre de Grenoble à Aix les Bains par le tramway, le train et la route… l’écriture est soignée, bien qu’apparemment malaisée. Je me demande pourquoi la lettre R…

Enfin, au détour de la page 200 du premier tome, alors que monsieur Larousse me dévoile d’un côté la carte de la Bolivie, et de l’autre commence à me parler de la famille des Bonaparte… Un edelweiss séché vit là, caché. Il est là depuis je ne sais combien d’année, attendant de me surprendre sans doute ? En tous cas, il me fait m’interroger : Portait-il bonheur à quelqu’un ? Qui était cette personne ? Où vivait-elle ? Peut-être cela a-t-il un rapport avec la TSF spéciale montagne, et le tramway qui va de Grenoble à Aix les Bains ? Oui, sans doute…

J’aime ce dictionnaire. J’aime voyager avec lui, dans lui, à travers lui. Il me fait rêver…

Voilà ! J’ai fini ! Je voulais vous parler de ce livre parce que je l’aime, et je voulais que vous l’aimiez vous aussi. Oh, peut-être pas exactement celui-là, mais en tous cas que vous sachiez apprécier les mystères et les enseignements qui résident parfois dans les vieux bouquins tout défraichis qui sentent le moisi… Ils sont beaux ces bouquins. Beaux et riches à la fois.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

ce matin ,en commençant une journée bien occupée et riche de rencontres appréciées comment aurais-je pu imaginer que pour finir ,un vieux dictionnaire allait capter pour quelques minutes heureuses toute mon attention!
Tu es un magicien Gwen !

j'avais un ami , (perdu de vue ) dont l'enfance et l'adolescence avait été plus que rudes : père inconnu, mère décédée quelques instants après sa naissance ,il avait été confié à sa grand mère avec le message :" prenez-le, de toutes façons il ne vivra pas !"
le gredin a vécu et grandi avec cette grand mère quasiment SDF .
dénuement total , cache-cache avec les assistantes sociales qui voulaient le mettre en foyer , et mille bétises .
Ayant à travailler avec lui, il m'étonnait sans cesse pour sa grande culture et la rigueur de ses connaissances .Sa grande école à lui avait été la rue en majorité.Un jour, n'y tenant plus , je lui ai demandé :comment sais-tu tout cela ? Comment as-tu fait pour apprendre tant de choses , avec citations au bon moment etc. Sa réponse fut celle-ci : chez ma Grand Mère , il y avait un seul livre que faute d'autre chose, je lisais tous les jours ; un dictionnaire !
lucifer !

Anonyme a dit…

Tu m'as fait rêver Gwen...tes dictionnaires m'ont propulsé dans le temps, moi aussi...

La bibliothèque familiale avait , outre les incontournables "série noire", quelques romans d'Alphonse ( Daudet), un ou deux recueils de poèmes d'Hugo ..et une encyclopédie en 4 volumes reliés cuir héritée du grand-père...

Dans un habitat un peu trop étroit pour une famille nombreuse, je me planquais sous la table, en tirant soigneusement la nappe jusqu'au sol, et dans ma tente de fortune,je voyageais dans mes encyclopédies, à l'abri des ébats fraternels et le monde aurait pu s'arrêter de tourner..!!!

Ainsi j'ai commencé, avec un appétit féroce, à ouvrir des fenêtres sur un inconnu ...fin comme le papier et lourd comme le livre qui pesait sur mes genoux...

Merci de m'avoir fait revivre ces moments, en découvrant avec bonheur ton très beau texte, sensible et émouvant...

C'est sans doute ça aussi qui nous rapproche : des émotions partagées, à quelques années et quelques kilomètres de distance !


Mob'
Lucifer, j'aurais aimé ton ami !

Gwendal Denis a dit…

Je suis ravi que cela vous aient plu mesdames… (j’suis pas sûr de l’accord…)
Ca fait du bien d’écrire sur autre chose que la politique. C’est un texte que j’avais sous le coude depuis quelques jours, mais figurez-vous qu’au moment de le finir, je n’arrivais plus à retrouver le détail qui m’avait fait identifier l’année 1913 ! Il m’a fallut plusieurs jours, à raison de longues minutes d’épluchage consciencieux des deux livres par jour, et refaire mon enquête une deuxième fois pour retrouver la planche sur l’aviation… Dans mon esprit, je me souvenais qu’il s’agissait de voiture !
Bref, ce n’est qu’hier en cherchant l’edelweiss que je l’ai enfin trouvé…

Comme quoi, tout ne tourne pas exclusivement autour de la politique chez Je voulais vous dire…

mineur de fond a dit…

Alors là, c'est réussi!
Pendant le lecture de ton récit, j'étais comme un gamin (que je suis encore !) dans une chasse au trésor.
Tes dictionnaires sont de bons compagnons de route!

L'arme du Savoir est la plus efficace en effet! Et la plus constructive.

Mon apprentissage volontaire, je l'ai fait un peu sur le tard.
Une famille certes sympa mais dépourvue d'intérêt culturel.
Moi, tout l'inverse, il fallait que j'occupe ma curiosité et ma soif d'explorations poétiques, mais sans trop de livres ou autres supports à porté de main… Alors je me suis mis à dessiner beaucoup, à tout recopier et à tout interpréter! Là, c'était chez moi, les limites s'effaçaient parfois, me donnant une sensation de vertige… une émotion très particulière! J'avais 9 ou 10 ans.
Le dessin est mon école de vie.
Le lien avec le livre, le texte, la charge du verbe et le signe (dessiné) s'est fait plus tard…
Depuis, j'essaie de rattraper le temps perdu, ou plus exactement les instants mal remplis…
En tout cas merci de nous faire partager ton voyage passionnant!
Tu m'as inspiré, sur le coup!

mineur de fond a dit…

Heu… mineur de fond c'est Francky…
Je ne suis pas encore trop au point avec les profils et compagnie… mais là, ça ne devrais plus trop bouger :)
(mon mot de vérif : agracon !!!)

Gwendal Denis a dit…

Ya pas de quoi Mineur Francky… Ça m’fait plaisir. Quelques-chose me dit que toi et Bourreau fait son office, vous allez vous entendre comme larrons en foire…

foxxy1 a dit…

Une bien belle histoire, celle de ton amour pour les livres, la lecture et le dictionnaire, le tout conté avec poésie.
Je me suis vu enfant, un peu seul, surtout l'été, et mon plaisir était de feuilleter le gros dictionnaire de mes parents. Je retrouve beaucoup de similitude avec ma jeunesse !

Gwendal Denis a dit…

Bonjour Foxxy1 !
Les livres sont les compagnons de l’enfant solitaire… Enfin, étaient. J’ai bien peur que la PSP, la DS et autres téléphones portables aient remplacé les bouquins dans les mains et la tête de nos chères têtes blondes… Pourtant, s’ils savaient quels adultes ces pages peuvent fabriquer ! Je crois que c’est ça le plus dur à leur faire comprendre. Quand je pense que lorsque j’étais gosse ma mère me lançait souvent : »Arrête de lire ! ».
Je ne l’écoutais pas, et j’allais me cacher pour lire…

Pseudo a dit…

Depuis longtemps Gwendal, enfin ca dépend pour qui remarque, c'est toujours pareil.

Bon, j'ai jamais eu ce genre de petites console portable, j'ai pas plus lu pour autant…

Ca me bottait pas et puis quand a m'a botter j'ai soit eu plus trop le temps soit pas forcement eu les moyen d'y accéder…

aslan a dit…

Avez-vous remarqué comme il était mignon le petit Gwendalounet ! Rien à voir avec le butor actuel ! Il eu fallu ajouter la danse classique aux humanités :D

Très chouette texte Gwen, tu déchires sa race le blog. Bises.

P.S: Concernant les dates à choisir rien ou tout me va, je manque de visibilité, j'essayerais de faire avec.

cazo a dit…

Tu as l'âme des conteurs... ton texte était rempli d'images, de moment, d'odeurs... on s'y croyait!!

Superbe...

les livres ne seront jamais occultés par l'ordinateur, pas plus que la télé n'a anéanti la radio... et heureusement!!

Google est simple... un dico, une encyclopédie est riche...

Gwendal Denis a dit…

Eh ! Enfin ! Il ne manquait plus que vous les garçons ! Je commençais à me demander où vous étiez passés… Ce n’est pas que je cours après votre avis, mais… En fait je viens de me rendre compte que lorsque j’écris sur autre chose que de la politique, quelque chose de plus intime, de plus personnel, j’ai probablement plus besoin de « reconnaissance ». C’est bizarre, et logique à la fois.
M’enfin, content que ça vous ait plut !

detoutderien a dit…

superbe texte ! j'ai quant àmoi récupérer de mon pépé deux reliures de "la science illustrée" que j'ouvre parfois aussi avec émotion, témoignage d'une époque où les livres étaient précieux mais faisaient partie intégrante de la vie de la famille

autrement tu connais ce titre de Zebda ?

Gwendal Denis a dit…

Merci Gaël... Non je ne connaissais pas, mais maintenant oui ! Magnifique chanson en effet, et qui colle pile poil !