
Je m’aperçois qu’il est peut-être temps pour moi de me remettre à ma petite rubrique forestière. En effet, voilà un peu plus de trois semaines que j’ai publié l’article sur les taillis… Ca manque de suivit mon petit Gwendal ! Mais en même temps, vous conviendrez que j’ai été un peu occupé ces temps-ci… Non ? Si ? Ah bon, c’est gentil, merci…
Allez, c’est parti ; Et accrochez vous parce que aujourd’hui ça va être du lourd, et on va compliquer un peu les choses.
Je rappelle donc, les formes forestières que nous avons déjà abordées : La futaie régulière, avec ses tiges de même âge, même diamètre et même essence (on dit équienne et mono spécifique chez les pros !). Le taillis, issu de rejets poussant sur des souches et formant des peuplements de petites dimensions (je parle en tour de poitrine, bien sur). Et le taillis sous futaie (TSF), qui est un mélange des deux premiers.
Avec le TSF, nous avons vu que la diversité écologique était grandement améliorée, du fait du mélange des essences et de la multiplication des étages forestiers. Le mélange des essences crée un sol beaucoup plus riche : C’est un peu comme lorsqu’on varie son alimentation, on est en meilleure santé. Et bien pour les sols c’est pareil. Plus les végétaux en décomposition son variés, plus l’humus du sol est riche. Donc fertile, donc productif, donc nourrissant pour la faune et la flore qui l’habite. Cette biodiversité est accentuée lorsque l’on dispose de peuplement en étage. Une haute futaie majestueuse, pas trop fermée, accompagnée par un sous bois dense et varié, constituera un habitat fabuleux pour un grand nombre d’espèces animales. Enfin, avec de tels peuplements, le forestier dispose de moins de production certes, mais plus de débouchés commerciaux pour ses bois.
Malheureusement pour le forestier colbertiste, cartésien, borné et têtu comme un fonctionnaire breton, la gestion régulière qui fut la règle absolue pendant des centaines d’années, ne peut pas toujours s’appliquer. En effet, il est parfois des situations où une coupe rase ne peut s’envisager. Je pense notamment au terrain de montagne : Si vous raser une forêt sur une forte pente, il y a de grandes chances que le terrain glisse et se retrouve au fond de la vallée, avant même que la nouvelle génération est fini de pousser (ça ferait désordre…). Nos glorieux ingénieurs ont donc développé un mode de gestion dit « irrégulier » pour éviter les glissements de terrain intempestifs. Vous noterez au passage le terme »irrégulier ». Un adjectif comme un gros mot, un furoncle sur le paysage parfaitement lisse de la Forêt Française…
Bref, ce mode de gestion fut longtemps considéré comme un pis-aller, une appellation sous laquelle ranger tout ce qui est bordélique ou qui ne produit que des queues de cerise. Pour preuve, dans mes cours de sylviculture qui datent de 1992, c’est comme ça qu’est décrite la futaie jardinée !Techniquement voilà en quoi ça consiste.
On peut avoir deux sortes de forêt irrégulière (ou mélangée ou jardinée, c’est pareil). La forêt mélangée par parquet ou pied à pied.
Dans le premier cas, le peuplement sera constitué d’une mosaïque de petites surfaces ne dépassant pas quelques ares (les parquets), dans lesquelles règne une dynamique régulière (un are = 10 x 10 m). C'est-à-dire que la forêt est un peu comme un patchwork. Dans chaque morceau de tissu, imaginez que vous avez une futaie régulière en miniature. Chaque petit bout de forêt sera traité selon les règles de la futaie régulière : ensemencement, éclaircies et coupe rase. Ok ?
Le mélange pied à pied, c’est un peu plus compliqué puisque l’art consiste à ce que le peuplement soit absolument vierge de toute régularisation. Chaque arbre est alors considéré comme un individu propre, qui se doit d’être envisagé dans sa totalité. L’arbre, l’écosystème directement proche, sa position par rapport à ses voisins, son potentiel, etc. Autant vous dire qu’à ce niveau là de sylviculture, ce n’est plus de l’exploitation forestière, c’est du jardinage.
D’ailleurs, la seule intervention à faire dans un peuplement jardiné s’appelle la coupe jardinatoire (j’adore ce mot ! Jardinatoire… Ca me fait penser à jubilatoire…). Cette coupe consiste à intervenir très régulièrement (tous les ans) et en même temps sur tous les étages forestiers : On y pratique aussi bien la coupe d’éclaircie pour dégager les tiges prometteuses, que les coupes sanitaires pour éliminer les arbres malades ou déformés et bien sur, les coupes de récolte.

Economiquement, la grande différence est que le forestier mobilise tout au long des saisons, tout un tas de produits différents. Cela demande d’avoir derrière soi une filière bois dynamique et microstructurée, capable de valoriser toute la gamme des produits dérivés du bois. Pour faire simple, fini les grosses scieries capables de débiter des troncs pré-formatés à la chaîne, et bonjours les petites unités multicompétantes qui produisent à l’échelon local.

Et le paradoxe fabuleusement ironique de la chose est que la forêt qui ressemble le moins à une forêt gérée par l’homme, est celle qui nécessite au contraire le plus sa présence…

Alors bien sur, vous imaginez bien que cette vision d’une forêt anarchique à souhait (en apparence) n’est pas vraiment faite pour plaire aux fonctionnaires de nos Eaux et Forêts nationaux. Pour ces messieurs (-dames) prôner une telle hérésie forestière relevait de la folie. Certains y ont même vu des implications politiques et philosophiques. Si vous saviez ce que j’ai pu entendre mes amis ! Les gauchistes écolos s’attaquaient aux sacro-saintes écritures du manuel de l’aménagement forestier ! Haro sur les dissidents ! Un vrai front de conformisme se levait contre ces théories suspectes venu de l’étranger.


Vous l’aurez compris, j’aime ce type de forêt. C’est pour moi ce qui ce fait de mieux dans la sylviculture. C’est beau, tout simplement. Ce qui me fait sourire cependant c’est qu’il y a des chances que vous, je parle du public lambda amateur de promenade dominicale, vous ne l’aimerez pas beaucoup. Parce qu’elle n’est pas abordable au premier venu. Parce qu’elle parait sale, négligée… Son désordre apparent et sa vigueur vous empêche de progresser. Dès les premiers mètres, vous perdez de vue vos repères. Saviez-vous que des études ont démontré que 80 à 90% des gens qui se promènent en forêt ne s’éloignent jamais à plus de 200 m de leur véhicule ? La forêt fait encore peur, et la futaie jardinée encore plus que les autres. Les humains du XXIème siècle ne savent plus se diriger sous ses frondaisons. Elle est mystérieuse… Elle est l’endroit où les loups et les trolls foisonnent. Le lieu des contes de fées et des cabanes de sorcières. En fait, elle est le vivant symbole de ce que l’homme a perdu en grandissant.
J’espère sincèrement que maintenant que vous en savez un peu plus, vous n’aurez plus peur. J’espère que vous aborderez les forêts comme il se doit, avec respect. Respect du vivant bien sur, mais aussi respect du travail des hommes et des femmes qui ont fait ce qu’elles sont.