Je voulais vous dire…


Un blog qui parle de politique, de social, d'environnement... De la vie quoi!


mercredi 8 juillet 2009

Le fantôme de Malthus

Il a un truc qui me turlupine le ciboulot en ce moment… Ça me travaille le neurone, ça me titille la fibre écologique.
Ça a commencé avec une conversation téléphonique que j’ai eue, il y a quelques semaines, avec l’un de mes plus chers amis…
Nous discutions de choses et d’autres, et notamment du film Home et de la catastrophe écologique qui nous pendait au nez… Soudain, mon ami me sort une phrase du genre : « De toute façon, il va bien falloir penser à réguler sérieusement nos naissances et ce à l’échelle planétaire… ».
Waouh ! Sur le coup, je suis resté un peu estomaqué. Je connaissais l’argument, mais cela faisait quand même une bonne vingtaine d’années que je ne l’avais pas entendu… Je croyais que cette lubie était tombée aux oubliettes de l’histoire, et sur le coup je me suis plus ou moins moqué de mon ami en le traitant de réactionnaire.

Et puis, je me suis rendu compte, en fouillant un peu, que cette idée de réduction des naissances revenait en force sur le net, et notamment auprès des écologistes les plus militants.
Pour eux, l’équation est simple :

Moins d’habitant = Moins de consommation = Moins de pollution


En effet, posée comme ça, cette équation a le mérite d’être claire, simple, évidente. Cette terre est trop petite pour nous, il nous faut donc anticiper la diminution des matières premières nécessaires à la vie et d’ors et déjà penser en termes de survie. Aussi, tel l’équipage en perdition, on rationne les vivres et on évite d’accueillir à bord de nouvelles bouches…
Mouais… Évidente, évidente… Pas tant que ça en fait.

Tout d’abords, comme je l’ai dit, l’idée n’est pas nouvelle et on a l’habitude de l’attribuer à un certain Malthus. Thomas Malthus (1776-1834).
Pour ce cher Malthus, la solution aux famines et disettes récurrentes était qu’il fallait veiller à réduire le nombre de bouches à nourrir. En clair, si les pauvres étaient moins nombreux, ils auraient moins faim…
Car la théorie de Malthus a le gros défaut de ne concerner que les classes les plus basses de la société. Il est hors de question que ces précautions s’appliquent à la bourgeoisie et aux classes dirigeantes, cela ne concerne que la plèbe…
Un des corollaires à cette théorie est la prise de conscience que le XIXème siècle voit le début de l’essor scientifique et technologique. Pour le malthusien de base, ce progrès ne peut que faciliter la vie des travailleurs (à l’époque on disait encore le peuple), et donc en favoriser la reproduction… Ainsi, le malthusianisme d’origine se vit plébiscité par tout un pan de la bourgeoisie, inquiète de voir un trop grand confort donner des idées stupides d’émancipation à ceux qui jusqu’alors trimaient sans trop se plaindre. Donc, si l’on ne veut pas que les lapins nous envahissent, on limite la naissance des lapins. C’est simple.
C’est pour cela qu’au XIXème siècle le malthusianisme fut rangé dans la case des mouvements anti-modernité et devint un symbole d’opposition au progrès.

Quelques années plus tard, l’idée fut reprise par quelques économistes et, dirons-nous, quelques peut étoffée. C’est le mouvement anarchiste qui succomba à la facilité en reprenant les idées de Malthus et en ajoutant le fait qu’il serait des plus défavorable POUR le peuple que celui-ci fasse trop d’enfants, car ceux-ci seraient de toute façon utilisés comme chair à travail ou chair à canon… C’est ce qu’on appela le néo-malthusianisme.
Vous noterez au passage qu’il ne s’agit plus là de protéger les intérêts d’une classe supérieure, mais bel et bien d’empêcher que l’on abuse des classes laborieuses… Aussi le malthusianisme d’origine, plutôt prôné par les élites pour sauvegarder ses propres intérêts, devint par une de ces pirouettes tordues dont les théories politiques ont le secret, un combat mené par les plus éminents humanistes de l’époque. Ce que l’on appellera bien plus tard, la gauche…

Puis, au XXème siècle l’idée perdit un peu de son intérêt… La révolution industrielle, puis les deux guerres mondiales et l’indispensable effort de reconstruction qu’elles entrainèrent remisèrent la limitation des naissances parmi les concepts farfelus. Et ce jusque dans les années 70, avec le premier choc pétrolier et la naissance de l’écologie politique…

A cette époque pas si lointaine, on commença à se rendre compte que nous vivions sur une planète aux ressources limitées, et que la croissance démographique mondiale, et plus particulièrement celle du tiers-monde, nous conduisait tout droit à la catastrophe.

Parallèlement, les progrès sociaux d’émancipation de la femme et l’apparition de moyens contraceptifs sûrs apportèrent du grain à moudre aux néo-malthusiens. Ceux-ci s’emparèrent du combat féministe et le raccrochèrent à une politique de contrôle des naissances, seul alternative à leurs yeux à une catastrophe écologique aux proportions bibliques.
A ce propos, je tiens à m’inscrire en faux par rapport à ce que raconte Wikipédia sur le néo-malthusianisme. Pour moi, le mouvement de libération de la femme est un mouvement sociétal occidental qui n’a rien à voir avec le contrôle des naissances au niveau planétaire. Il s’agit d’une évolution normale et légitime propre à toute société moderne et éclairée. Et quand je dis éclairée, j’entends par là débarrassée de toutes contraintes religieuses… (Oui, vous pouvez dire bondieuseries à la con, c’est valable aussi.).
Aussi, quand je vois que l’on met dans un même paragraphe : Simone Weill, MLF, IVG, planning familial et écologie, je m’insurge ! Cela n’a rien à voir. Point barre.

Donc, l’idée du contrôle des naissances progresse au fur et à mesure que la peur du lendemain progresse elle aussi. Et cette idée a ressurgit récemment dans la bouche d’Yves Cochet qui propose d’instaurer une « grève du troisième ventre ». Notons, juste pour le fun, que l’expression grève du ventre est attribué à Octave Mirabeau, écrivain mais aussi anarchiste et néo-malthusien convaincu. Et Cochet de comparer l’incomparable en disant qu’un enfant aurait un coût écologique comparable à 620 trajets Paris-New York. (!!!)

Bref, le malthusianisme revient en force. Après avoir été une idée de droite libérale, puis un concept révolutionnaire, la voilà qui devient le cheval de bataille de l’écologie avec un grand E… La célèbre WWF milite en son sens, de même que pas mal de groupes écologistes pour qui la décroissance économique doit forcément aller de paire avec la décroissance démographique.

Il n’en reste pas moins que c’est une idée à la con.

Pourquoi ? Et bien tout simplement parce que ce n’est pas une idée fondée sur la logique mais sur un fantasme.

La natalité, qu’elle soit humaine ou animale, est une conséquence de multiples facteurs qui concourent à son augmentation ou à ça diminution. Cela n’a jamais, je dis bien jamais, été une cause de quoi que ce soit.
L’augmentation de la natalité est la conséquence d’un cadre de vie amélioré qui confère à la sécurité. Le niveau de sécurité augmente, la natalité aussi. Le niveau de sécurité baisse, la natalité suit le mouvement. C’est donc, bel et bien une conséquence d’un processus.
Dans le discours de nos écolos intégristes (osons le terme après tout), c’est l’augmentation de cette natalité qui devient la cause de tout. Pour preuve, il suffit de relire l’équation simpliste que je vous ai présentée plus haut, la population est bien en tête des variables, non ? Bon…
Donc, en fait il s’agit plutôt (à mon sens) d’un fantasme. Un fantasme récurant qui surgit en temps de crise et qui conduit l’être le plus réfléchis à désigner à la vindicte un ou plusieurs de ses congénères. C’est un vieux réflexe, maintes fois éprouvés, qui en ce qui me concerne me débecte au plus haut point tant il me rappelle les heures les plus sombres de l’histoire de l’humanité…
Car, soyons sérieux, à partir du moment où on envisage de forcer une population à restreindre sa natalité sous prétexte que le confort qu’apporte le monde moderne risque de disparaitre, cela revient à privilégier ce confort au détriment de la survie de l’espèce. Et puis surtout cela revient à présumer grandement de ce que fera notre descendance…
Sans compter que, la décroissance démographique est peut-être bien une solution, mais on fait comment pour l’appliquer ? On stérilise qui ? On s’attaque d’abords aux pays riches ou aux pays pauvres ? On délivre des permis de faire des enfants ? On lapide les parents des familles nombreuses ?
Et puis, prôner cette grève du ventre permet surtout, et c’est là qu’est pour moi le point le plus important, d’éviter de remettre en question l’ordre établit. C’est oublier un peu vite de se poser la question de l’actuelle répartition des richesses et des inégalités qu’elle crée.
Je le répète, la natalité est une conséquence. Changeons la façon dont on distribue les richesses de par ce monde, et vous verrez que la natalité s’adaptera en conséquence. C’est tout simple.
Alors pourquoi ils n’y pensent pas ? Pas envie de voir leur propre part du gâteau diminuer peut-être ?
Pour moi, si je reprends l’allégorie du bateau qui commence à manquer de vivres. Envisager les choses sous cet angles revient à réfléchir à comment réduire le nombre des membres d’équipage, alors qu’il serait sans doute plus simple, mais aussi plus dérangeant, de commencer à revoir les parts des officiers et du capitaine.

Une dernière chose, histoire que vous compreniez à quel point cette idée de malthusianisme écologique est perverse : Un des inspirateurs de Malthus déclara un jour vouloir "La régulation de l'emploi par la suppression des bouches inutiles". Ce monsieur s’appelait Adam Smith (1723-1790), père fondateur du libéralisme économique… Le contrôle des naissances serait donc de l’écologie libérale ?