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jeudi 8 janvier 2009

Vous avez dit justice ?

On sait tous que le mois de janvier, c’est celui qui débute l’année calendaire. C’est le mois qui, par tradition, sert à tout un chacun à souhaiter de bonnes choses à son voisin. Traditionnellement aussi, les dirigeants de tous poils s’expriment de façon condescendante et parfois hypocrite, aux masses qu’il domine pour leur présenter leurs vœux mais également faire passer un message…
Depuis l’année dernière nous savons que notre Président aime à utiliser ces moments pour énoncer sa volonté suprême. Et c’est ce à quoi nous avons eu droit hier, lors de l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation. Si vous désirez écouter l’allocution dans son entier, vous n’avez qu’à cliquer ICI… Mais bon, si vous avez la flemme, vous pouvez peut-être également me faire confiance et continuer de rester avec moi pour lire ce que j’en pense.

Jusqu’ici, l’audience solennelle de rentrée de la Cour de Cassation, était une tribune purement formelle, où le boulot du Président de la République consistait simplement à annoncer l’ouverture de la cession et sa totale confiance en la justice de son pays… Cette position neutre et de bonne figure, permettant de signifier ainsi au peuple que la justice reste indépendante du pouvoir en place. Et bien cette année, grand chamboulement ! Nicolas Sarkozy, à clairement signifié au parterre de magistrats devant lesquels il s’exprimait, qu’il ne l’entendait pas de cette oreille (ni d’une autre d’ailleurs), mais qu’il entendait plutôt jouer le rôle du conducteur d’attelage qui indique à ses mules dans quelle direction celles-ci doivent marcher.

Après avoir qualifié la justice française de troisième pouvoir, et relevé que celui-ci était miné par un « syndrome syndical », « issu de 1968 » (si je vous l’assure ! Vous n’avez qu’à vérifier !), il a enfin annoncé ce qui fait l’objet du présent article… J’ai nommé la suppression du poste de juge d’instruction.
Pour en arriver à cette mesure, notre PGE s’est, bien évidemment, appuyé sur l’image calamiteuse de l’affaire d’Outreau et sur une procédure qu’il qualifie « d’inadaptée et lourde » et « pas suffisamment respectueuse des droits des personnes ».
Pour lui, la preuve doit primer sur l’aveu et il juge qu’il est dorénavant impossible au juge d’instruction de mener à bien sa mission, qui est d’instruire une affaire à charge ET à décharge. Donc, exit le juge d’instruction et bienvenue au juge DE l’instruction chargé de surveiller l’enquête menée par le seul parquet…
De même, par voie de conséquence, exit le Juge des Libertés et de la Détention (JLD) qui lui, comme son nom l’indique, est décisionnaire de la détention ou de la liberté des personnes sur avis du juge d’instruction. De même encore, pour notre PGE, puisque le secret de l’instruction est difficile, voir impossible, à faire respecter… Et bien on le supprime ! Point barre. On le remplace par une audience des charges, publique !

Bon, si vous êtes arrivés jusqu’à ce point, chers lecteurs, c’est qu’à priori le sujet vous intéresse, ou du moins vous attendez vous à ce que j’en termine avec l’argutie juridique et que je vous dise enfin pourquoi je ne suis pas d’accord avec tout ça. Rassurez-vous, j’y viens. Mais comme il s’agit d’un sujet sérieux, je dirais même fondamental, il convient de bien situé les propos de l’autre tache pour en saisir la teneur destructrice dans son envergure la plus entière… (Si ça c’est pas du style ampoulé, je ne m’y connais pas !).

Il est vrai que le citoyen français est paradoxalement peut familiariser avec les tours et les détours de sa propre justice. A moins d’y être directement confronté et guidé par un avocat patient, la plupart des français n’y comprennent quedalle et sont finalement beaucoup plus au fait des procédures américaines… La raison de cette méconnaissance me parait simple, même si elle est double.
Tout d’abord les français ne sont pas tous des criminels, ni même des délinquants (Y’a quand même une différence entre un crime et un délit, vous le savez ça ?), heureusement. Ensuite, et bien le citoyen téléspectateur a beaucoup plus de chances d’être le témoin des raffinements de la justice américaine que de la sienne propre. Car en effet, les séries ricaines sur le fonctionnement de la police et de la justice sont pléthores. (Ca s’accorde pléthore ?). On en est submergé à un point tel que le justiciable en vient à confondre ses droits avec ceux des citoyens de l’oncle Sam. On serait étonné de connaitre le nombre de personnes choquées de se voir refuser la présence d’un avocat pendant la garde à vue, ou encore étonnées que l’on ne leur lise pas leurs droits au moment de leur arrestation… Moi aussi d’ailleurs, mais j’imagine qu’elles sont nombreuses.

Et c’est donc maintenant que je vais vous parler d’une série que je regarde assez souvent, même si elle me fait bondir à chaque fois… Il s’agit de New-York Police District, également appelée New-York Police Judiciaire diffusée sur depuis 19 ans aux USA sous le titre original « Law & Order ». La loi et l’ordre, tout un programme n’est-ce pas ? D’ailleurs, dès les premières secondes, cette série annonce la couleur en commençant toujours par le même commentaire en voix off : « Dans le système pénal américain, le ministère public est représenté par deux groupes distincts, mais d'égale importance : la police, qui enquête sur les crimes, et le procureur, qui poursuit les criminels. Voici leurs histoires. »
Ce préambule a le mérite d’être clair, car il décrit parfaitement le fonctionnement du système US. Chacun joue son rôle : La police cherche les preuves contre le suspect, et le procureur (joué par Sam Waterston, l’inoubliable reporter de La déchirure) utilise ces preuves (et au besoin en cherche d’autres) pour accuser le suspect et lui faire reconnaitre sa culpabilité. La plupart du temps c’est à ce moment qu’ont lieux des tractations (qui à moi me font sauter à bas de mon canapé…) destinées à éviter à l’affaire d’aller devant un jury populaire. Des tractations du genre : Si tu plaides coupable, je requalifie le meurtre de ta femme de 75 coups de couteaux en homicide involontaire, et tu prends 15 ans au lieu de la peine de mort. Si le suspect s’entête à nier sa culpabilité l’affaire va devant un jury populaire et là, l’accusé risque sa tête. Autant vous dire que pour l’accusé, le choix est quelque peu restreint, car entre vivre ou mourir y’a pas photo.

Vous aurez remarqué que dans ce dispositif on ne parle pas de la défense de l’accusé… (Vous l’avez remarqué, non ? Ah quand même…) Si on n’en parle pas, c’est que la défense de l’accusé face à la machine judiciaire incombe à l’avocat et à lui seul. C’est pour ça que celui-ci est exigible dès les premières secondes de la mise en examen, car c’est le rôle de l’avocat de chercher les preuves permettant de disculper son client. Personne d’autre ne le fera à sa place ! Autant dire que sans avocat, le justiciable se retrouve sans défense et se fait bouffer tout cru. De plus, cela implique forcément que la défense de l’accusé se trouve nécessairement liée à sa faculté à se payer un bon avocat, avec les moyens de rechercher les preuves de son innocence, et que le péquin moyen ne se contentera que d’un avocat commis d’office, surchargé de travail et au budget proche de mon compte en banque le 10 du mois.

Bien, ça c’est la façon, au combien discutable vous en conviendrez, dont fonctionne la justice américaine. A ce stade de mon article, j’espère que vous commencez à deviner où je veux en venir ? Parce que si ce n’est pas le cas, vous devez vous demandez pourquoi je digresse ainsi sur une série télé, et que vient faire Sam Waterston dans les plans de Sarkozy !

Si je vous parle de tout ça, c’est que le discours de Sarkozy hier devant les magistrats est le prélude à une américanisation de notre système judiciaire. Ni plus, ni moins.

J’explique : En France jusqu’à présent les affaires nécessitant une enquête fouillée, sont menées par la police qui récolte les indices et qui les soumet à un juge d’instruction, lui-même requis par le parquet. Celui-ci est chargé d’instruire l’affaire à charge ET à décharge. Il recherche les preuves accusant le mis en examen (avant on disait l’inculpé, mais c’est la même chose), mais également il doit tenir compte des preuves qui disculpent ledit mis en examen. C'est-à-dire qu’il est responsable de la recherche de la vérité, quelle qu’elle soit. Les textes disent qu’il a pour mission de faire « tout acte utile à la manifestation de la vérité ».

On devine aisément que le juge d’instruction, pour pouvoir réaliser cette mission, se doit alors d’être une personne douée d’une impartialité à toute épreuve et d’un sens moral hors du commun. Et c’est souvent l’absence de ces qualités, de même que le poids des pressions subi, qui font du juge d’instruction la cible des critiques les plus diverses. Surtout lorsque celui-ci se plante et poursuit des innocents…
De même, pour pouvoir réaliser sa mission, le juge d’instruction se doit de disposer d’énormes pouvoirs discrétionnaires et d’une indépendance totale par rapport à toutes formes de contraintes. Qu’elles soient politiques, financières ou d’opinion. Et là, comment dire… Il y a certaines personnes qui considèrent qu’il est préjudiciable de se retrouver à la merci d’un magistrat disposant d’autant de libertés. Notamment celles de pouvoir fouiner là où a priori il ne faudrait pas qu’il fouille…
Car, dans les faits, le juge d’instruction ne s’occupe en moyenne que de 5% des affaires criminelles. 5% oui, mais ces affaires sont souvent des affaires liées à des sujets sensibles comme les meurtres, les crimes sexuels, mais aussi les délits financiers, les trafics d’influence, les détournements de fonds, et cætera, et cætera… On comprend alors, que certaines personnes susceptibles de se voir reprocher se genre de délit, soient on ne peut plus heureuse de voir disparaitre ce qu’ils appellent souvent eux-mêmes avec suffisance : les « petits juges ».

Lors de l’affaire d'Outreau, le haro avait été jeté sur le rôle du juge d’instruction. On lui reprochait essentiellement sa solitude et on mettait l’accent sur l’expérience requise par la fonction. Pour palier à cela, une commission d’enquête décida donc de soumettre l’action du juge à un collège de pairs, chargé de chapoter l’instruction et au besoin de recadrer s’il y a lieux… On commença même à remettre en question son indépendance et ses pouvoirs, au nom de la présomption d’innocence. Le scandale médiatique et populaire que cette affaire créa est à l’origine de cette réforme voulue par Nicolas Sarkozy.

Alors que faut-il réellement penser de cette réforme proposée par le chef de l’Etat ? Pardon, excusez-moi : « Edictée par le chef de l’Etat » serait plus juste.
D’après son discours, et comme le dit le Figaro.fr : « Oter au juge d'instruction ses pouvoirs d'enquête reviendrait à les transférer aux seuls magistrats du parquet, hiérarchiquement soumis au ministère de la Justice. ». Ce qui revient à dire que les enquêtes et les actions judiciaires seront menées par l’Etat et lui seul par le biais des procureurs et de ses substituts. Comme aux Etats-Unis. Quid de la défense du justiciable ? Aucune réponse n’a été apportée en ce sens par le chef de l’Etat, mais l’on suppose alors que le rôle de l’avocat en deviendra grandement augmenté, et que c’est sur lui que reposera la mission d’apporter la preuve de son innocence.
On s’éloigne donc ce qui fait notre droit depuis des centaines d’années, un droit issu d’une conception romaine de la justice, qui dit que la justice ne se rend qu’à l’issue d’une procédure inquisitoire. Inquisitoire, c'est-à-dire qui résulte d’une enquête qui se veut impartiale. On s’éloigne donc du droit romain pour se rapprocher du droit anglo-saxon qui lui, est basé sur une procédure accusatoire… C'est-à-dire, ben… accusatoire. Je t’accuse, et c’est à toi de me prouver que j’ai tord.
Vous voyez où le bât blesse ? En se cachant derrière des arguments fallacieux concernant la liberté individuelle, on en oubli le fondement de ce qui fait une bonne justice. C'est-à-dire que toute personne est innocente jusqu’à ce qu’on est prouvé le contraire. Et ça, je suis désolé, mais ce n’est pas rien. C’est même fondamental.

Alors, mes chers amis, et j’en finirais ici parce que ça doit commencer à vous paraitre long comme article, j’espère qu’avec toute ma prose vous aurez compris pourquoi je considère que cette réforme est une belle merde.
Certes, je conçois qu’il faille réformer le statut du juge d’instruction. Il conviendrait de le soutenir et de le sortir de son isolement mais en faisant en sorte de conserver cette indépendance qui est le garant d’une bonne justice. Mais ce que propose l’autre tâche, c’est ni plus ni moins que de nous faire copier le système américain. Avec tout ce que cela implique d’iniquité et d’erreurs judiciaires.
Pour moi, le système judiciaire, tout comme l’Etat d’ailleurs, est là pour assurer aux citoyens qu’ils seront traités avec impartialité et que leur défense sera assurée contre toute forme d’abus. Donner au seul parquet le pouvoir de poursuivre le citoyen sans tenir compte des éléments pouvant le disculper, reviendrait à instaurer une justice à deux vitesses, basée sur la présomption de culpabilité.
Jusqu’à présent le justiciable s’adressait au juge d’instruction en sachant que ses explications seraient prises en compte… Il disposait d’un interlocuteur disposé à l’écouter. C’est d’ailleurs pourquoi on appelle ça une audition. Si la réforme aboutit, le justiciable se retrouvera uniquement face à un procureur dont le rôle est de le foutre en tôle.
On se retrouve avec une justice dont la devise devient :

Vous êtes tous coupables, jusqu’à ce que vous ayez les moyens de prouver le contraire…

Et ça, franchement, j’ai pas envie.