Je voulais vous dire…


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samedi 16 mai 2009

Les Ch’tis, ou l’apologie de la médiocrité (?)

Bonjour-bonjour ! Aujourd’hui, malgré le ton enjoué que pourrait laisser présager la double salutation qui entame ce texte, je dois vous prévenir à l’avance, je n’ai pas particulièrement envie d’être ni joyeux ni tendre. Je me sens limite furibard, mais avec encore quelques soupçons de rationalité pour pouvoir analyser et justifier cet état. D’ailleurs, même si je sais que ça vous plait bien quand je pousse une gueulante, vous avouerez quand même que c’est un poil plus constructif lorsque celle-ci est accompagnée d’arguments… Non ? Ah bon, j’me doutais bien…

Comme vous le savez déjà puisque vous êtes des lecteurs attentifs, mon opérateur du câble me soumet régulièrement à la torture en m’offrant parfois quelques chaines de télé supplémentaires. Mon opérateur, Numéricable pour ne pas le nommer, ne sait pas que je suis pauvre comme Job, mais il continu néanmoins à me titiller le portefeuille pour voir s’il n’y resterait pas quelques piécettes à grappiller…
Donc, ce mois-ci ils ont fait très fort, puisqu’ils m’ont ajouté, non pas un mais deux bouquets supplémentaires à mon paysage audiovisuel. J’ai droit à Ciné-Cinéma et à Canal ! Et donc, c’était jeudi soir, j’ai pu enfin voir Bienvenue chez les Ch’tis sur Canal Plus Cinéma…

Et c’est de ça, et d’autres choses, dont je voulais vous parler aujourd’hui.
Ca va l’entrée en matière ? Pas trop longue ? Bon ok, alors on attaque.

Lorsque le film Bienvenue chez les Ch’tis est sorti je ne suis pas allé le voir. Tout simplement parce que je ne vais plus au cinéma depuis des années car c’est trop loin et c’est trop cher. Ça, c’était les raisons du départ. Ensuite, lorsque le buzz a commencé autour du film et que les entrées des salles montaient en flèche, je me suis dit que je n’irais pas le voir quand même… Je suis peut-être un asocial paranoïaque, mais moi, lorsqu’on me dit que quelque-chose est formidable, j’accueille cette affirmation avec indulgence, mais aussi avec circonspection. Et plus on en rajoute, moins j’ai envie de me bouger pour suivre le mouvement. Lorsque vous regardez passer un troupeau de moutons, et que vous en voyez un qui ne va pas dans le même sens que les autres, il y a de grande chance qu’il s’appelle Gwendal. C’est comme ça.

Et puis, au milieu du concert de louanges qui encensait le film, sa générosité, son humour etc… J’ai entendu quelques rares critiques qui m’ont paru frappées au coin du bon sens et j’ai eu tendance à les écouter elles, plutôt que de suivre l’enthousiasme ambiant…
Aussi, sans l’avoir vu, j’ai donc classé ce film dans la catégorie « paupérisation intellectuelle » de mon échelle de valeur. Je ne vous cache pas qu’au début, ça me faisait un peu chier de me retrouver au côté de Zemmour et Le Pen. Le groupe des antis-Ch’tis n’était certes pas énorme, mais il comprenait quand même quelques figures nauséabondes… Mais bon, on peut être un connard et avoir quand même un peu de jugeote. C’est ce que je me disais pour me dédouaner.

Donc, un an après sa sortie, j’ai enfin vu la merveille. Le film aux 20 458 104 entrées… Le film qu’un français sur trois est allé voir en salle. (Putain ! Quand on y réfléchit… C’est énorme !)
Et bien, vous voulez que je vous dise ? Je suis bien content de ne pas avoir dépensé mon fric pour ça… !
Quand j’ai vu que ça passait à la télé, je me suis dis : « Ah enfin ! Je vais pouvoir me faire un avis objectif sur la question… ». J’ai donc abordé ma soirée avec un minimum d’ouverture d’esprit. Je me suis installé confortablement sur mon canapé, et j’ai regardé les malheurs de ce directeur de la Poste confronté à une culture qu’il ne connait pas, aux préjugés (les siens, car vous aurez noté que les gens du Nord n’en n’ont pas…), le tout agrémenté de quiproquos plutôt téléphonés.

Au final, j’ai ris. Pas beaucoup, mais un peu quand même… La première chose que je me suis dit, c’est que c’était une comédie « honnête », mais en aucun cas un grand film. En tous cas pas un film digne de se présenter aux Césars, ça c’est clair… (Je mets un lien pour Azul…) Tout de suite après, j’en suis venu à m’interroger sur ce qui avait bien pu faire déplacer (et dépenser de la tune !) autant de français… Là, je vous avoue que je n’en sais toujours rien. Pour moi, c’est mystère et boule de gomme.
La promotion du film ? Je n’ai pas noté qu’elle ait été différente des autres.
Le sujet ? Déjà vu, revu et re-revu… Je n’ai pas d’exemples qui me viennent à l’esprit, là tout de suite, mais le coup de l’étranger versus coutumes locales, c’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, par contre, c’est que l’on situe l’action dans ne Nord… Mais comme d’habitude dans ce genre de film, on caricature à l’excès l’autochtone en se foutant de sa gueule.
Les acteurs ? Le casting est bon. Merad et Boon font du Merad et du Boon et ils le font bien… Mais ça on le savait déjà. M’enfin, rien de vraiment neuf.

Aussi, franchement, avec toute l’honnêteté du monde je ne vois pas trop ce qui a permis ce film de pulvériser les records au box-office…
Si ce n’est peut-être ce que j’appellerais l’effet « mouton de panurge ». Mais bon, pour que cet effet fonctionne il faut quand même qu’il y ait un minimum de consensus autour de valeurs communes. Et en ce qui me concerne, les seules valeurs que je distingue sont l’utilisation abusive des clichés, la parodie outrancière, et l’éloge de la médiocrité.

Soyons clair, je n’ai rien contre les gens du Nord. Mais alors rien du tout. Je n’irais pas vivre là-haut pour tout l’or du monde, mais ça n’a rien à voir avec leur accent bizarre, leur maison en briques rouges bizarres (Z’ont pas de pierres là-haut ?) ni même leurs spécialités culinaires bizarres… Ce n’est pas non-plus une question de météo. Parce qu’en fait, quand j’y réfléchis, ça ne m’effraierait pas d’aller vivre en Bretagne ou en Irlande… Donc, la pluie et le froid comme repoussoir, ça ne marche pas. Non, si je n’ai pas envie d’aller là-bas, c’est tout simplement parce que je suis bien où je suis. C’est aussi con que ça.

Mais il faut quand même reconnaitre que l’image que le film donne des gens du Nord n’est pas terrible. Ils sont limite débiles (je parle de l’image), mais on leur pardonne parce qu’ils sont sympas… Aussi, lorsque l’on remarque une recrudescence de la fréquentation touristique à Bergues et dans le Nord-Pas-de-Calais en général, C’est donc que les gens vont là-bas pour y voir des gens débiles, mais sympas. Et là je vous citerais Philippe Marlière qui dit : « Bienvenue chez les Ch’tis est donc une comédie ambiguë. Bien intentionnée, elle campe un Germinal comique, mettant en scène un prolétariat dévoué, mais pas très futé, dans une région économiquement arriérée. Bon gré, mal gré, ce film flatte les principaux poncifs anti-Nord : serait-ce la raison de son succès commercial phénoménal ? ».

Mes chers amis, je trouve que cet engouement pour la mise en valeur de la médiocrité, participe au processus d’a-culturation massif qui nous attaque depuis quelques années. Ce film est en quelques sortes dans la droite ligne des castings de La Nouvelle Star, du buzz autour de Cindy Sanders, ou encore d’autres émissions comme Super Nanny… On assiste à la mise en valeur, non-plus de ce qui mériterait d’être cité à titre d’exemple, mais au contraire, on enfonce bien le clou en se gobergeant de la nullité.

En fait, et c’est là où je voulais en venir depuis le début car c’est un sujet qui m’interpelle depuis un bout de temps, en fait donc, nous sommes en train de nous faire manipuler de la plus belle manière… Et c’est un peu grâce à Franck Lepage (voir article précédent), que j’ai plus ou moins réussi à mettre des mots sur mon questionnement… Autant Lepage, et Herbert Marcuse avant lui, nous avertit que l’on est en train de nous enlever des mots pour ne plus pouvoir critiquer un système, autant dans ce cas d’a-culturation, ou de paupérisation intellectuelle si vous préférez, on est en train de vouloir changer notre perception des choses pour ne plus pouvoir imaginer être autre chose que ce que nous sommes.
Je m’explique. Lorsque l’on montre ou cite en exemple quelqu’un de formidablement doué, ou quelqu’un ayant fait de grandes choses, l’exemple prend alors une signification positive. Il nous sert de curseur sur notre échelle de valeur. Curseur que nous avons en ligne de mire et que nous chercherons donc à atteindre.
Seulement, depuis quelques temps, on assiste à la mise en valeur non-plus de ce qui se fait de mieux, mais plutôt de ce qui se fait de pire. Le résultat en est que, petit à petit nous n’avons plus en ligne de mire un « état supérieur » à atteindre, mais plutôt un « état inférieur » qui n’est là que pour nous rassurer. Car en effet, qu’elle peut être la réaction de celui ou celle qui n’a constamment sous les yeux que des exemples d’échecs pires que les siens ? Tout simplement, celui-ci se rassure en se disant qu’il existe bien pire dans le monde que sa propre vie, et il ne cherche donc plus vraiment à l’améliorer…

Voilà donc ce que nous préparent ces médias de masse : Une génération de gens contents de leur sort, qui se contente de railler des sous-exemples et qui, quoi qu’il arrive, n’auront même plus ni l’idée, ni l’envie de progresser par quels moyens que se soient… La plèbe idéale, silencieuse et satisfaite d’elle-même. Incapable d’imaginer vouloir autre chose que ce qu’elle a déjà… Incapable d’avoir des désirs autres que ceux qu’on leur proposera alors, clef en main.
Un autre exemple, qui a commencé je crois avec le premier Lof Story, ou Big Brother si vous préférez. C’était en 2001. Avec ce genre d’émission est apparue une nouvelle façon de faire progresser quelqu’un dans un jeu… Pour la première fois (en tous cas en France), on ne récompensait plus les meilleurs ou les plus méritants, mais on éliminait les plus mauvais… Le candidat se retrouvait dans l’obligation de progresser, non plus pour être meilleur que les autres, mais plutôt pour ne pas être le pire… Griotte sur le clafoutis, l’échec est alors mis en valeur. L’humiliation, somme toute relative, est orchestrée, et le public se gave de voir le candidat éliminé.
Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, je trouve que ça change quand même pas mal de chose… Surtout sur l’image que l’on a de soi-même et des autres. Ce n’est plus l’attraction de l’excellence qui fait progresser l’individu, mais la peur de l’échec. L’émulation du candidat n’est plus guidée par le fait d’arriver le premier au bout du bassin olympique, mais simplement de se maintenir à flot. Ce ne sont plus les qualités d’une personne qui font d’elle une gagnante, mais ce sont les défauts des autres qui les éliminent.
Vous avouerez que c’est un bien drôle de concept que celui-ci…

Et c’est là que j’ai le palpitant qui s’emballe et la tension qui grimpe. Parce que, il n’y a rien de plus qui m’énerve que de voir quelque chose d’évidemment néfaste fonctionner avec autant de redoutable efficacité. Un français sur trois, merde ! Ca ne vous énerve pas un truc pareil ?
Je ne saurais dire si ce processus d’a-culturation est le fait d’une intention délibérée… Je constate simplement son existence, et j’en subodore les effets, c’est tout. Cependant, je ne peux m’empêcher d’y voir quelques références à ce sacré Edward Bernays et à sa manie de vouloir satisfaire les désirs inconscients de la masse dans le but de la manipuler…

Comme quoi, après Bernays et sa manipulation, Lepage et sa critique de la politique culturelle, Bienvenue chez les Ch’tis tombe à pique pour illustrer ce que j’essaye de définir depuis quelques articles… J’ai bien conscience que je n’ai pas encore fini ma réflexion. Il me reste encore pas mal de boulot pour arriver à bien cerner, c'est-à-dire mettre des mots sur, cette satanée tendance qu’on certains à vouloir nous priver de jugement.

Aussi, je vais continuer à réfléchir à tout ça, et dès que j’ai récupérer quelques pierres à rajouter à l’édifice, on en reparle ! D’ailleurs, je compte aussi sur vous et votre jugement pour me fournir de la caillasse ! *

* : Un peu de flatterie ne fait pas de mal…