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vendredi 13 février 2009

Pourquoi désobéir ?

Il y a quelques jours notre amie Monique nous a demandé dans un de ses commentaires si parmi nous il y avait quelqu’un qui pouvait nous parler de la désobéissance civile ou d’une expérience de désobéissance… Hier, elle m’a relancé par mail sur le sujet, montrant par là sa soif d’information et son désir de faire de sa lecture du 19 mars un événement le plus complet et le plus argumenté possible. J’ai donc entrepris de lui répondre dans une lettre, et de lui faire part de mes réflexions sur le sujet. Et puis, j’ai trouvé que publier cette lettre directement sur mon blog pouvait peut-être susciter de votre part des commentaires intéressants et faire avancer le débat. Notre affectionnée Momo pourra ainsi profiter de tout ça, et récolter ainsi du grain à moudre !

Aussi voici la lettre que j'ai écrite :

Salut Monique !
J’ai bien reçu ta question, et depuis je me creuse les méninges pour y apporter une réponse…
A ma grande honte, je m’aperçois que de toute ma vie je n’ai pas réellement, délibérément, refusé d’obéir à une loi ou à un ordre… Faire des choses illégales de façon délibérée : Oui bien sûr. Comme tout le monde dirais-je. Le fait est qu’en règle générale lorsqu’une règle ne me plait pas, je m’arrange pour la contourner. Je suis assez doué pour ça d’ailleurs… Mon esprit analyse une situation donnée, et sans même que je m’en rende compte j’arrive à trouver le moyen, soit de me défiler, soit de transformer la situation à mon avantage… C’est de l’ordre de l’instinct de survie en fait ou de l’adaptabilité.
Si je me débrouille de cette façon c’est, je pense, parce que je respecte viscéralement l’autorité. Mon enfance que tu connais m’a programmé pour ça. Mais comme j’ai quand même un grand sens moral, mon esprit a trouvé ce moyen de m’opposer sans en avoir l’air.
En fouillant bien dans ma tête, j’ai peut-être une anecdote à te raconter…

Ca remonte à loin, du temps où j’étais à l’armée. J’étais sous-lieutenant dans les commandos de l’air, et un jour on m’a donné un ordre que j’ai trouvé injuste et que j’ai refusé d’exécuter… Enfin presque ! Voici l’histoire et tu comprendras peut-être ce que je voulais dire plus haut.
Ma section était en période d’instruction, et nous venions de terminer un exercice qui avait duré toute la semaine. Alors que tous les cadres étaient rentrés chez eux pour le week-end, j’étais resté avec ma trentaine de soldats en alerte. C'est-à-dire que nous devions rester sur la base, prêt à prendre les armes en moins de trente minutes… Tout le monde était crevé, et je trouvais que mes gars avaient suffisamment donnés. J’ai donc décidé de leur foutre la paix… Malheureusement le samedi matin, je reçois l’ordre de me rendre le lendemain avec mes gars dans un hangar pour y accomplir un boulot. Il s’agissait de reconditionner des câbles.
A l’époque, la base venait de changer l’un des multiples systèmes d’alarme et les ouvriers avaient récupéré les anciens fils électriques de l’ancien système et avaient jeté le tout en vrac dans un hangar. Imagine des kilomètres de câble électriques, tels un véritable sac de nœuds, regroupés en un tas qui dans mon souvenir faisait au moins cinq mètre sur cinq, et 1,50m de haut ! Le job, c’était de démêler tous les fils et de les enrouler sur des bobines pour qu’ils puissent être recyclés.
Lorsque j’ai reçu l’ordre, j’ai fais part de mes objections, en disant que mes gars en avaient bavé pendant la semaine et qu’il serait peut-être abusé que de leur en demander encore. Surtout que dès le lundi, ils étaient sensés reprendre leur service, c'est-à-dire monter la garde et protéger les avions et les missiles nucléaires… En vain.
Alors, voici comment j’ai fait. Le samedi soir j’ai réuni ma section et je leur ai dis ce qu’il en était. Je leur ai dit que moi, j’avais reçu cet ordre, mais que je me refusais à le leur donner à eux. Je leur ai juste dit, que moi je ne pouvais pas faire autrement que de m’exécuter, et que je serais le lendemain à telle heure au hangar pour faire le job. Mais qu’eux, n’étaient pas obligés d’y être…
Le lendemain, je me suis donc retrouvé seul devant ce tas de câbles, et j’ai commencé la corvée. Une demi-heure plus tard, alors que je pestais contre mon fichu sens de l’honneur et mes valeurs à la con, j’ai vu arriver deux, puis trois, puis dix soldats… Sans un mot, ils se sont mis au boulot… bien sûr, tous n’étaient pas là, mais putain que j’étais fier ! J’étais fier d’eux et fier de moi aussi.
Alors bien sûr, on n’a pas réussi à finir le tas… On n’était pas assez nombreux pour ça. D’autant que vers 16H00, je leur ai dit de rentrer. Que ça suffisait bien comme ça…
Le lendemain, le capitaine m’a fait la remarque que le boulot n’avait pas beaucoup avancé. J’ai répondu que malgré tous nos efforts, la tâche était ardue et que le temps nous avait manqué… Plus tard, lorsque je suis allé chercher mon arme à l’armurerie pour prendre mes fonctions de chef de la protection de la base, j’ai vu qu’une autre section se tapait le démêlage des câbles.
Avec le recul que me donne presque vingt années, je me rends compte que ce que j’ai fais peu s’apparenter à de la manipulation. J’ai supposé que la fidélité de mes hommes allait me permettre de me sortir de ce dilemme moral, et les faits m’ont donné raison. Mais en même temps, si cela n’avait pas marché, j’étais prêt à accomplir le boulot tout seul, et à répondre de mes actes si cela s’était su… L’histoire a fait que je n’ai pas été obligé de rendre des comptes, mais je sais au fond de moi que je l’aurais fait, la tête haute.

Voilà mon histoire. Je sais bien que cela n’a que peu de rapport avec ce que tu recherches, mais je voulais te raconter cette anecdote pour t’expliquer un peu ma conception de la désobéissance, et pourquoi, à mon avis, je me débrouille toujours pour l’éviter… Et puis, d’avoir écrit tout ça, m’a amené à réfléchir sur la désobéissance.

Ça veut dire quoi désobéir ?
Je pense que désobéir est une chose, et en assumer les conséquences une autre.
Tu peux désobéir à une directive, un ordre, une loi pour de multiples raisons. Tout dépend en fait de ton système de valeur, et les motivations qui sont les tiennes. Valeurs et motivations qui peuvent même aller l’encontre des règles les plus communément admises. Le vol et le meurtre sont des désobéissances à des règles de vie en société. Ne pas dénoncer un clandestin qui habite sur ton palier, ou ne pas appliquer une directive gouvernementale également. Qu’est-ce qui va donc faire une différence entre ces transgressions ? La réponse est : ton propre jugement moral, qui va légitimer ou pas ton acte.
A partir de là, si tes valeurs légitiment ton acte, tu deviens alors prêt à en assumer les conséquences… Et cette désobéissance peut être qualifiée de « civile », dans le sens latin qui vient de civis : citoyen. Mais elle n’en reste pas moins une infraction à la règle qui peut être punie.
Au début de ma réflexion, je pensais que la grande différence qui existait entre la simple désobéissance et la désobéissance civile, était le fait d’assumer ou pas tes actes… mais en fait, cela n’a que peu d’importance. Dans l’histoire que je viens de te raconter, j’ai désobéi, mais j’ai menti pour cacher ma désobéissance. Cela n’enlève rien au fait que je considère mon acte comme légitime. Qu’il soit puni ou pas n’entre pas en considération.
Donc, si je suis mon raisonnement, la notion de désobéissance civile est une notion abstraite qui concerne chaque individu au plus profond de lui-même, qui ne s’absout pas d’éventuelles poursuites. C’est un acte intime.
A la rigueur, devant une autorité, quelle qu’elle soit, ce peut être considéré comme une circonstance atténuante. De même, certaines désobéissances peuvent être tolérées… Mais jamais elles ne te dispensent éventuellement d’en assumer les conséquences, car fondamentalement, tu as transgressé une règle. Là où les choses changent, c’est lorsque les actes de désobéissances se font suffisamment nombreux pour en venir à changer la règle. Ou que la tolérance en devient tellement généralisée que la règle n’a plus aucun fondement…
Donc, toujours si je déroule mon fil, la désobéissance civile n’a de réelle fonction politique et citoyenne qui si, et seulement si, elle a pour but de changer une règle.
Partie de l’intime conviction, elle devient donc un véritable acte militant si elle est partagée par un grand nombre de personnes. C’est la multiplicité des convictions qui fait sa force.

Voilà Monique. J’ai bien conscience que je suis peut-être à côté de la plaque en ce qui concerne l’anecdote, mais j’espère que le cheminement de ma pensée va te fournir quelques pistes de réflexion qui te seront utiles.
Je t’embrasse très fort.
Gwendal.