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dimanche 22 novembre 2009

Une histoire de lynx (2)

Bon, où j’en étais moi ? Ah oui, nous voilà donc partis à la chasse au lynx !

Bon, avant que de continuer mon histoire, laissez-moi tout de même vous toucher deux mots sur la problématique lynx. Car oui, il y a forcément une problématique lorsque vous réintroduisez dans un milieu, quel qu’il soit, un grand prédateur qui en avait disparu.

Rassurez-vous, je vais essayer de faire simple et concis.
Dans un monde idyllique, un monde où l’homme n’aurait pas eu son mot à dire par exemple, le lynx ne se serait pas trouvé exactement au sommet de la chaîne alimentaire. Disons qu’il aurait été sur la deuxième marche du podium, ce qui est déjà pas mal. Au dessus de lui, seul animal susceptible de se faire du lynx pour son petit déjeuner, trônerait le loup.

Pas de bol, l’homo sapiens (l’homme intelligent tu parles !), dans le souci de protéger ses activités pastorales est venu foutre un peu le bordel dans cette belle hiérarchie, et a non seulement exterminé le lynx, mais aussi le loup. Résultat, l’élevage de nos animaux de ferme préférés s’en est trouvé grandement facilité, mais la vie des proies habituelles de nos deux amis s’en est trouvée elle aussi simplifiée. Chevreuils, chamois, lapinous, que sais-je encore, se sont retrouvés à prospérer offrant par ailleurs de supers gibiers pour l’homme qui pouvait ainsi prendre/usurper la place du prédateur absolu.

Sauf que lorsqu’on pique la place du patron, encore faut-il en assumer les responsabilités et faire le boulot correctement. Et ça, l’homme il n’a pas su faire.

Avec le temps la chasse, est passée de nécessaire à facultative. Notre époque moderne en a fait un loisir. Et encore, un loisir mal vu par une population citadine et ignorante qui tire à boulets rouges sur ceux qui le pratique encore. Des petits cons, prétendument défenseurs de l’écologie, mais qui en fait n’y connaissent rien, entre nous soit dit.
La paresse qu’apporte la modernité est également responsable de la disparition progressive de la chasse. En effet, à part quelques passionnés, qui a envie de se lever nuitamment pour crapahuter pendant des heures à la recherche de sa pitance alors qu’il suffit pour cela de se rendre au supermarché du coin ?

Bref, l’homme ne joue plus son rôle de régulateur. Résultat les populations d’herbivores explosent, et mettent en danger les cultures, et le serpent se met à sucer sa queue
Pour essayer de remédier à ce bordel, des scientifiques ont donc eu l’idée de réintroduire dans la chaîne alimentaire les prédateurs précédemment exterminés. Bonne idée me direz-vous, sauf que tous les hommes ne sont pas des scientifiques et n’ont pas une vision complète de la chose. Et plus particulièrement ceux qui sont à même de côtoyer directement les prédateurs en question.

Les chasseurs gueulent parce qu’ils ont peur d’avoir de la concurrence… Sauf que, comme ils n’arrivent pas à faire leurs cotas, ils sont plutôt mal placés pour gueuler.
Les éleveurs ont peur de voir leurs troupeaux attaqués… Et là ils n’ont pas tord. Car le lynx ou le loup sont des animaux avec un cerveau simple. Pas du genre à s’encombrer de principes moraux si vous voyez ce que je veux dire. Plus on fait simple, mieux c’est. Et égorger un mouton crétin c’est quand même plus simple que courir après un chevreuil en pleine forme (Sans parler des cornes).
Donc problèmes et forcément problématique.

Ca va ? C’était pas trop long ? Allez, on retourne à l’histoire !

Donc nous voilà partis en direction de la forêt du Turet au lieu-dit du Creux de l’Enfer (Brrr !!).
Nous retrouvons les Suisses sur un parking au pied du massif. Là, surprise, ils sont plutôt nombreux. Vachement nombreux même. Quatre spécialistes avec deux gros 4X4 chargés jusqu’à la gueule de matériel, et une flopée de bagnoles particulières remplies de « spectateurs privilégiés ».
Il faut savoir que les programmes de recherche Suisses fonctionnent énormément sur des dons privés. Pratique libérale s’il en est, et qui comme de par hasard entraine tout une série de petits privilèges comme par exemple de pouvoir assister à une capture en échange d’un don important. Pour le coup, c’est donc une douzaine de privilégiés qui sont là, appareil photo en bandoulière et petite chaussures de ville.
Mon camarade et moi tiquons. C’est vrai quoi, la science est quelque chose de sérieux et cette bande de joyeux et (très) bruyants touristes n’est pas vraiment fait pour nous plaire. Mais bon, ce sont les Suisses qui commandent, alors nous fermons notre boite à camembert française.

De toute façon, pour l’heure il n’y a rien d’autre à faire pour eux qu’attendre. Nous sommes partis, mon pote et moi, le garde chasse et deux Suisses munis d’une antenne de localisation à la main à la recherche de Maman Lynx. Moi je me dis qu’avec tout le boucan que font nos amis donateurs, la maman sait déjà qu’on est là depuis belle lurette… Et je n’avais pas tord.
Voici comment les choses se passèrent. La première chose que fit Maman Lynx en nous entendant, ce fut de mettre ces bébés à l’abri. La configuration géologique est telle que de nombreux éboulis recèlent plein de petites grottes et donc les cachettes ne manquent pas. Puis elle se posta entre nous et la grotte pour parer à toute éventualité. Voyant que continuions à avancer vers elle, elle entreprit alors de faire diversion en essayant de nous attirer vers elle. Mais ce n’était pas elle que nous recherchions, c’était sa progéniture… Il nous a donc suffit de continuer dans la même direction, sans suivre Maman Lynx, et ils nous sommes tombés droit sur l’éboulis où se cachaient les petits… Après quelques fouilles infructueuses dans les anfractuosités (Essayez un peu de le dire à voix haute plusieures fois de suite qu’on rigole !), nous les avons enfin trouvés. Trois petites boules de poils de trois semaines, tapies au fond de leur trou.

Les attraper ne fut pas chose facile. C’est qu’à trois semaines ces petites bêtes ont déjà griffes et dents pour se défendre ! Le type qui s’en chargea avait la main en sang ! Mais bon, bon an mal an les trois chatons furent mis dans des sacs et nous sommes redescendus vers le parking où les autres avaient déjà commencé à déballer le matériel. Au loin on entendait Maman Lynx pousser des cris déchirants

Ensuite, il a fallut passer aux examens proprement dits. Pose d’une marque à l’oreille de chacun des petits. Pesée. Radiographie complète. Prise de sang. Echantillons de flore intestinale… Rien ne leur fut épargné à ces pauvres chatons ! Et pendant tout le temps où on les malmenait, ça feulait et ça crachait à qui mieux-mieux !
Pour ne rien arranger, les joyeux donateurs eurent le droit de les prendre dans leur bras pour faire des photos… A chaque fois qu’un flash se déclenchait, les pauvres bêtes miaulaient de peur. J’étais écœuré.
De voir ces petites têtes dépassant de leur sac orange, ballotés de mains en mains pour le plaisir de quelques bobos friqués qui s’arrogeaient le droits de les tripoter sous prétexte qu’ils avaient offert de l’argent… Cela m’a choqué. Encore aujourd’hui, quand j’y repense, j’ai envie de hurler.

Cela pris bien deux heures pour terminer l’examen des trois chatons. Tripotage compris. Lorsqu’il fut le moment de les ramener dans leur grotte, les crétins en chaussures de ville se mirent à pousser des « au revoir ! » avec plein de gestes de la main… Normal : Quand on est con, autant aller jusqu’au bout.

A la fin, j’ai quand même fait part de mon ressenti au garde chasse. Je ne me souviens plus exactement ce que je lui ai dit, mai en gros ça disait que l’on était loin des pratiques scientifiques de terrain dont j’avais l’habitude, et que tout ce foin autour des petits était préjudiciable pour eux. Il était d’accord, mais ne pouvait rien y faire… Il me rassura cependant en me rappelant que ce n’était pas des oiseaux et que leur mère n’allait pas les abandonner s’ils sentaient l’homme.
Ouais, d’accord, mais ce ne sont quand même pas des façons de faire…

Le lendemain, je me suis mis à l’écriture de mon rapport sur cette soirée. Rapport qui, vous vous en doutez probablement, ne fut pas très gentil envers nos confères helvétiques. Il me fut même reproché d’exagérer les choses !
Ben voyons !

Cela-dit, cette rencontre avec ces trois petits lynx fut pour moi un vrai bonheur. Pendant ce moment, j’ai vraiment eu l’impression d’être utile à quelque chose. Bref, ce fut une expérience merveilleuse et je me souviendrais jusqu’à la fin de mes jours de cette soirée de juillet 1995…

Allez, je vous laisse ! Passer un bon dimanche et on se retrouve bientôt !

Ps : Les cinq dernières photos sont de moi et ont été prises lors de cette fameuse soirée. Cliquez dessus pour les agrandir.

11 commentaires:

2Casa a dit…

C'est la trêve dominicale ? Il s'est passé un truc en France ? Y'a macht'eud foot ?

Chouette boulot ça. Un truc qui m'aurait plu. Le grand air, la nature, les zanimos. T'en as de la chance, toi, d'avoir vécu ça.

(Félins pour moi, y'a pas photo)

Monique a dit…

C'est une belle expérience, en effet.
Et qu'ils sont mignons, les chatons !
Pas une raison pour les tripoter à loisir, c'est vrai...mais c'est tentant !!!

Je m'étonne que la mère n'ait pas tenté de revenir vers eux et de les défendre, en entendant les cris...

Par la suite, tu as eu des nouvelles de la portée ?

Cécile Thérèse Delalandre a dit…

Oui belle et riche aventure que tu as vécue là!

Comme Mob, je m'étonnais que la mère ne soit pas revenue vers vs pour défendre ses petits?

C'est vrai que c'est tentant de les cajoler ces pitis matous mais...
Bon dim' Gwen et merci pour la belle histoire *_*

Gwendal Denis a dit…

@2Casa : Pourquoi forcément dominicale ? Raconter ce genre d’histoire, c’est ça qui me plait. Et même si je constate que ça n’intéresse personne, à part quelques aficionados triés sur le volet, je m’en tape…

Non, en fait c’est pas vrai. Ça m’énerve prodigieusement que chaque fois que je raconte une histoire comme ça, mon compteur de visite plonge dans les abysses insondables. Ça me gonfle

@Monique et Cécile : C’est bien un truc de fille ça, faire des câlinous aux petites peluches !
La maman qui défend sa portée au péril de sa vie, c’est une belle image mais qui est quand même assez loin de la réalité. La plupart du temps elle fait tout pour éloigner l’agresseur quitte à se proposer elle-même comme gibier, mais de là à mettre sciemment sa vie en danger il y a un monde… Faut quand même pas oublier que ce n’est qu’un chat de vingt kilos à peine… Une fois que les petits sont pris, son instinct lui dit qu’il ne serait pas « rentable » de mettre sa vie en danger. Des petits, elle peut en avoir d’autres.
Les petits et elle, sont restés dans le coin jusqu’à la fin de l’été, puis à l’automne ils sont repartis sur les sentiers pour qu’elle leur apprenne à chasser. On peut supposer qu’au moins un de petit a survécu jusqu’à l’âge de dix mois où ils deviennent autonomes.

Content que cela vous ait plu les filles !

2Casa a dit…

Désolé je n'ai pas été très clair :je parlais de l'absence de commentaires quand je suis passé... Loin de moi l'envie de dénigrer ta jolie histoire, bien au contraire, c'est probablement le genre de rapports essentiels dont j'ai absolument besoin : nature, animaux et qq Suisses triés sur le volet !

Gwendal Denis a dit…

@2Casa : T’inquiète, j’avais compris. ;-)

cazo a dit…

Une si belle expérience entachée par de mauduits suisses dont la réputation de discrétion semble complètement usurpée !! Suis sûr qu'après une telle expérience les lynx ont préféré les Ardennes plutôt que le Jura Suisse !!

Quant à moi, j'ai mon lynx personnel qui ronfle sur la chaise de bureau à côté de la mienne... un lynx femelle toute noire de 14 ans et d'un fort beau gabarit dont le bout de la langue rose tranche dépasse légèrement !!

Je ne suis pas sûr que le lynx ait été en compétition avec l'être humain. Je pense que sa disparition est probablement davantage le résultat de son faible effectif compte tenu de son territoire de chasse (de 1000 à 10000 ha) et surtout du trophée que représentait sa fourrure.

D'ailleurs, loups comme ours étaient sûrement plus chassés pour ce qu'ils représentaient que pour leur concurrence avec l'humain ou leur prélèvement dans le cheptel. N'oublions pas que le droit de chasse est un acquis récent de la révolution (il me semble). Avant, seuls les nobles pouvaient disposer allègrement du gibier sur leurs terres. Enfin, il me semble, peut-être Gwen as tu de meilleures infos que moi là dessus.

Les vrais concurrents des humains sont sans nul doute les rats !!... et les banquiers!

Gwendal Denis a dit…

@Cazo : Pertinente contribution comme on peut s’y attendre de ta part et sur un tel sujet, mon cher Cazo.
Est-ce que le lynx était en compétition directe avec l’homme avant son extermination ? Peut-être pas en effet. Comme je l’ai dit, ce n’est pas un superprédateur comme le loup, de plus sa part de prélèvement sur la faune, en gros c’est l’équivalent d’un chevreuil par semaine et par individu adulte, n’est pas si forte compte tenu de la taille du territoire de chasse. Il faut donc ajouter d’autres facteurs comme la réputation (une bête vivant la nuit et que personne ne voit ! Brrr !) et la qualité du trophée… Il y a donc une dimension psychologique à la problématique.

Cela-dit, depuis sa réintroduction les pratiques pastorales ont changées, et c’est là que le bât blesse. Par exemple sur la montagne du jura les bergers ont pris l’habitude de parquer les moutons dans de vastes périmètres d’un ou deux hectares. Ils redescendent dans la vallée et ne reviennent visiter leurs troupeaux qu’une fois par semaine… Et après ils s’étonnent qu’il leur manque quelques bêtes ! Comme je l’ai dit, le lynx va au plus facile. S’il peut économiser son énergie pour survivre, il le fait. Donc si on lui offre un mouton sur un plateau, il va le prendre sans plus se poser de question.

Le problème se pose de la même façon avec le retour du loup dans nos montagnes. En fait, il ne s’agit pas vraiment de compétition entre l’homme et l’animal, mais plutôt d’une remise en question des pratiques pastorales dans un marché agricole libéralisé et « moderne ».

Pour l’histoire de la chasse, c’est vrai que la révolution montre un tournant dans la pratique, mais à mon sens la révolution industrielle à eut encore plus d’impacte. Fin dix-neuvième début vingtième, la déprise agricole commence et la classe moyenne se met à la chasse comme loisir, augmentant d’autant les prélèvement sur les effectifs existants… jusqu’à extinction.

Bourreau fais ton office a dit…

J' ai bien aimé l' histoire des beaufs suisses, comme élément saugrenu, au milieu de la beauté de la nature, contre la sagesse et le sérieux des scientifiques.

Une sorte de parabole sur les rapports entre capitalisme et nature.

Gwendal Denis a dit…

@Bourreau : Voui ! On est exactement dans la même problématique qu’avec le Téléthon.

cazo a dit…

Pareil avec l'ours !! L'autre jour des chiens errants ont causé de gros dégâts dans un troupeau, il me semble que l'on a compté plusieurs dizaines de brebis égorgées...

J'étais furax : Pas une manif de bergers en colère, pas de dépôts de carcasses encore fumantes devant la préfecture, rien... Pourtant, en une seule fois, ces deux chiens ont fait plus de dégâts que les ours en une année !!

La vie eco-pastorale a changé, et les propriétaires des cheptels ne veulent plus payer des bergers à garder leurs troupeaux. En Californie, ils utilisent nos patous pour protéger leurs troupeaux du petit nounours local nommé grizzly... et ça marche. Mais voilà, faut être dans les alpages avec les bêtes, et non les surveiller avec des jumelles depuis son 4x4.

Malgré tout, je suis contre la réintroduction des ours car cela n'a plus aucun sens, vu que son biotope n'a pas été suffisamment protégé. Il fallait agir dans les années 60-70, tant qu'il en restait encore...