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lundi 2 juin 2008

La forêt (4)

La futaie irrégulière ou jardinée

Je m’aperçois qu’il est peut-être temps pour moi de me remettre à ma petite rubrique forestière. En effet, voilà un peu plus de trois semaines que j’ai publié l’article sur les taillis… Ca manque de suivit mon petit Gwendal ! Mais en même temps, vous conviendrez que j’ai été un peu occupé ces temps-ci… Non ? Si ? Ah bon, c’est gentil, merci…
Allez, c’est parti ; Et accrochez vous parce que aujourd’hui ça va être du lourd, et on va compliquer un peu les choses.

Je rappelle donc, les formes forestières que nous avons déjà abordées : La futaie régulière, avec ses tiges de même âge, même diamètre et même essence (on dit équienne et mono spécifique chez les pros !). Le taillis, issu de rejets poussant sur des souches et formant des peuplements de petites dimensions (je parle en tour de poitrine, bien sur). Et le taillis sous futaie (TSF), qui est un mélange des deux premiers.

Avec le TSF, nous avons vu que la diversité écologique était grandement améliorée, du fait du mélange des essences et de la multiplication des étages forestiers. Le mélange des essences crée un sol beaucoup plus riche : C’est un peu comme lorsqu’on varie son alimentation, on est en meilleure santé. Et bien pour les sols c’est pareil. Plus les végétaux en décomposition son variés, plus l’humus du sol est riche. Donc fertile, donc productif, donc nourrissant pour la faune et la flore qui l’habite. Cette biodiversité est accentuée lorsque l’on dispose de peuplement en étage. Une haute futaie majestueuse, pas trop fermée, accompagnée par un sous bois dense et varié, constituera un habitat fabuleux pour un grand nombre d’espèces animales. Enfin, avec de tels peuplements, le forestier dispose de moins de production certes, mais plus de débouchés commerciaux pour ses bois.
Malheureusement pour le forestier colbertiste, cartésien, borné et têtu comme un fonctionnaire breton, la gestion régulière qui fut la règle absolue pendant des centaines d’années, ne peut pas toujours s’appliquer. En effet, il est parfois des situations où une coupe rase ne peut s’envisager. Je pense notamment au terrain de montagne : Si vous raser une forêt sur une forte pente, il y a de grandes chances que le terrain glisse et se retrouve au fond de la vallée, avant même que la nouvelle génération est fini de pousser (ça ferait désordre…). Nos glorieux ingénieurs ont donc développé un mode de gestion dit « irrégulier » pour éviter les glissements de terrain intempestifs. Vous noterez au passage le terme »irrégulier ». Un adjectif comme un gros mot, un furoncle sur le paysage parfaitement lisse de la Forêt Française…
Bref, ce mode de gestion fut longtemps considéré comme un pis-aller, une appellation sous laquelle ranger tout ce qui est bordélique ou qui ne produit que des queues de cerise. Pour preuve, dans mes cours de sylviculture qui datent de 1992, c’est comme ça qu’est décrite la futaie jardinée !

Techniquement voilà en quoi ça consiste.
On peut avoir deux sortes de forêt irrégulière (ou mélangée ou jardinée, c’est pareil). La forêt mélangée par parquet ou pied à pied.
Dans le premier cas, le peuplement sera constitué d’une mosaïque de petites surfaces ne dépassant pas quelques ares (les parquets), dans lesquelles règne une dynamique régulière (un are = 10 x 10 m). C'est-à-dire que la forêt est un peu comme un patchwork. Dans chaque morceau de tissu, imaginez que vous avez une futaie régulière en miniature. Chaque petit bout de forêt sera traité selon les règles de la futaie régulière : ensemencement, éclaircies et coupe rase. Ok ?
Le mélange pied à pied, c’est un peu plus compliqué puisque l’art consiste à ce que le peuplement soit absolument vierge de toute régularisation. Chaque arbre est alors considéré comme un individu propre, qui se doit d’être envisagé dans sa totalité. L’arbre, l’écosystème directement proche, sa position par rapport à ses voisins, son potentiel, etc. Autant vous dire qu’à ce niveau là de sylviculture, ce n’est plus de l’exploitation forestière, c’est du jardinage.
D’ailleurs, la seule intervention à faire dans un peuplement jardiné s’appelle la coupe jardinatoire (j’adore ce mot ! Jardinatoire… Ca me fait penser à jubilatoire…). Cette coupe consiste à intervenir très régulièrement (tous les ans) et en même temps sur tous les étages forestiers : On y pratique aussi bien la coupe d’éclaircie pour dégager les tiges prometteuses, que les coupes sanitaires pour éliminer les arbres malades ou déformés et bien sur, les coupes de récolte.

Pour caricaturer (à peine), le forestier se doit de se balader dans sa forêt avec un sécateur, une scie à main, une binette, une tronçonneuse et un solide bagage technique en bandoulière. Le jardinage demande de la technicité. On est loin des travaux habituels pratiqués par des bucherons bas de plafond ou de la mécanisation à tout va.
Economiquement, la grande différence est que le forestier mobilise tout au long des saisons, tout un tas de produits différents. Cela demande d’avoir derrière soi une filière bois dynamique et microstructurée, capable de valoriser toute la gamme des produits dérivés du bois. Pour faire simple, fini les grosses scieries capables de débiter des troncs pré-formatés à la chaîne, et bonjours les petites unités multicompétantes qui produisent à l’échelon local.

Visuellement, la futaie jardinée va ressembler à l’image que vous vous faites d’une forêt naturelle. Avec ses troncs d’arbres morts laissés là exprès, pour attirer les insectes. Ses tiges parfois diffuses, parfois drues. Ses petites clairières secrètes ou pousse des fleurs dans un bosquet de saules et où coassent des grenouilles, parce que le forestier sait qu’une source suinte sous l’humus. Parfois on rencontre un arbre improbablement arrivé là, par les vents ou le gésier d’un geai, qui sait ? Ou bien c’est la main du jardinier qui tente une expérience en plantant un poirier au cœur de sa forêt pour attirer les abeilles ? Certains arbres ne seront jamais abattus… Ils mourront de leur belle mort ou d’un caprice d’Eole. Et même morts, ils donneront encore quelque chose à leur voisinage. Tout cela semble s’enchevêtrer en une joyeuse bousculade vers le soleil. A la différence qu’en jardinage on ne contraint pas la compétition naturelle, on joue avec elle. Sans parler de toute la vie que cette forêt attire à elle. La chevrette à peine née peut se réfugier au cœur d’un taillis touffus sous la surveillance nocturne d’une chouette squattant le creux d’un chêne centenaire. Bref, vous avez l’impression de pénétrer dans la forêt mère de toutes les autres, regorgeant de vie, où la progression est difficile tellement la vie foisonne.
Et le paradoxe fabuleusement ironique de la chose est que la forêt qui ressemble le moins à une forêt gérée par l’homme, est celle qui nécessite au contraire le plus sa présence…

Donc, je vous disais que la gestion en futaie jardinée était considérée à l’origine comme un pis-aller. Cependant, en Allemagne et en Suisse, certains ingénieurs se sont mis à théoriser plus avant cette pratique en tentant dans faire une vraie science, et ce dès la fin du XIXème siècle. Il faut savoir qu’à la fin de la deuxième guerre mondiale tous les plans de pépinières qui auraient pu reboiser le pays dévasté par les bombardements, partaient en France pour faire la même chose. Faute de matière première, les forestiers teutons ont donc dû se montrer innovant et imaginer un type de forêt qui se renouvelle tout seul… Il fallut encore quelques années pour que les travaux aboutissent et que les premiers résultats se fassent sentir. Et c’est en 1989 que parut le premier traité forestier sur le jardinage : Le fabuleux, le magnifique, le révolutionnaire, je veux dire : « Le régime du jardinage » de J.Ph Shütz de l’université de Zurich!
Alors bien sur, vous imaginez bien que cette vision d’une forêt anarchique à souhait (en apparence) n’est pas vraiment faite pour plaire aux fonctionnaires de nos Eaux et Forêts nationaux. Pour ces messieurs (-dames) prôner une telle hérésie forestière relevait de la folie. Certains y ont même vu des implications politiques et philosophiques. Si vous saviez ce que j’ai pu entendre mes amis ! Les gauchistes écolos s’attaquaient aux sacro-saintes écritures du manuel de l’aménagement forestier ! Haro sur les dissidents ! Un vrai front de conformisme se levait contre ces théories suspectes venu de l’étranger.


C’est dans ce contexte que j’ai découvert le mouvement prosilva. PROSILVA est un groupement de propriétaires forestiers séduit par cette idée de gestion peut conformiste et qui milite pour sa diffusion dans toute l’Europe. On y croise des grands propriétaires, des renégats de l’ONF, des techniciens écologistes, bref des amoureux de la forêt qui considèrent que diversité écologique peut rimer avec production de bois de qualité. Et c’est par ce biais que le mouvement s’impose peu à peu. A mon époque le principal argument contre la futaie jardinée, outre la vieille image des forêts de montagnes, était la rentabilité. Et bien, depuis vingt ans les études ne cessent de prouver que ce mode de gestion est économiquement viable. Mieux, il permet dans certains cas de dégager plus de bénéfices qu’un traitement en futaie régulière !


Mais cela demande que l’on se sorte les doigts du cul. Le forestier doit être en permanence dans ses parcelles pour surveiller, bichonner, tailler, dégarnir, élaguer. Les coupes doivent être douces, je dirais chirurgicales. Le débardage (le fait d’enlever le tronc d’arbre du lieu de coupe pour l’emmener vers un chemin ou une route) se doit d’être furtif, léger comme une plume, pour ne pas mettre en péril le fragile équilibre du vivant. On doit repenser les tracteurs, les adapter avec des roues souples et ne jamais débarder lorsque le terrain est humide. On revient à des techniques ancestrales comme l’utilisation de cheval… Ah la beauté du travail d’un percheron dans le sous-bois ! Quel spectacle ! Qu’elle communion !

Vous l’aurez compris, j’aime ce type de forêt. C’est pour moi ce qui ce fait de mieux dans la sylviculture. C’est beau, tout simplement. Ce qui me fait sourire cependant c’est qu’il y a des chances que vous, je parle du public lambda amateur de promenade dominicale, vous ne l’aimerez pas beaucoup. Parce qu’elle n’est pas abordable au premier venu. Parce qu’elle parait sale, négligée… Son désordre apparent et sa vigueur vous empêche de progresser. Dès les premiers mètres, vous perdez de vue vos repères. Saviez-vous que des études ont démontré que 80 à 90% des gens qui se promènent en forêt ne s’éloignent jamais à plus de 200 m de leur véhicule ? La forêt fait encore peur, et la futaie jardinée encore plus que les autres. Les humains du XXIème siècle ne savent plus se diriger sous ses frondaisons. Elle est mystérieuse… Elle est l’endroit où les loups et les trolls foisonnent. Le lieu des contes de fées et des cabanes de sorcières. En fait, elle est le vivant symbole de ce que l’homme a perdu en grandissant.
J’espère sincèrement que maintenant que vous en savez un peu plus, vous n’aurez plus peur. J’espère que vous aborderez les forêts comme il se doit, avec respect. Respect du vivant bien sur, mais aussi respect du travail des hommes et des femmes qui ont fait ce qu’elles sont.

Pour ceux qui en ont la possibilité, je vous engage à vous rendre dans la forêt du Nouvion en Thiérache… C’est le top de la sylviculture Prosilva en France. Pour l’anecdote elle appartient au conte de Paris et elle est gérée par le Baron de Turckheim… Le papa de charlotte !