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mercredi 6 janvier 2010

Le monde en solde

J’aime pas les soldes. Les soldes ça me gonfle grave. Et tu sais pourquoi je n’aime pas les soldes ? Non ? Et bien je vais te le dire…

J’aime pas les soldes parce que pendant huit ans, deux fois par ans, ça a été mon boulot de faire les soldes. Quand je dis faire les soldes, je ne parle pas de courir les magasins comme un furet à jeun depuis six mois, mais plutôt d’être de l’autre côté de la barrière… C’est moi qui prenais les prix, et qui les barrais pour en inscrire d’autres…

Ouais gros, pendant huit ans j’ai été le responsable d’un rayon « mobilier et décorations du monde »… Rien que ça. En fait, j’étais un rouage de la mondialisation. L’ultime rouage, celui qui vous présente un coffre tout vieux tout pourri acheté au Rajasthan cinq euros cinquante, et qui vous le revend cinquante euros en vous racontant une belle histoire… Pas très glorieux hein ?

Pourtant j’aimais bien ce que je faisais… J’avais des trucs qu’on ne pouvait trouver nulle-part ailleurs et j’en étais fier. Des objets, des meubles, des tissus, bref des trucs et des machins vachement intéressants car pas banals… Et beaux en plus. Enfin, beaux pour moi… Alors comme j’aimais ce que je vendais je n’avais pas vraiment d’effort à faire pour faire l’article comme on dit… Il suffisait de m’entendre parler trois minutes et hop c’était dans la poche ! Pas la mienne bien sûr…
Tout allait bien jusqu’à ce que l’on me demande de dire des mensonges au lieu de ce que je croyais être la vérité sur ma marchandise… A partir de là, comme je ne sais pas mentir, vous imaginez la suite.

Mais bon, c’est pas le sujet. Donc deux fois par ans je faisais les soldes. C'est-à-dire que je prenais un truc et, en fonction du fournisseur, et bien j’enlevais 10, 20, 30%... Jusqu’à 50 et même 70% du prix initial… Tu imagines bien lecteur que tout dépendait en fait du prix d’achat d’origine et donc de la marge habituelle que le magasin pratiquait sur chaque produit. Le souci c’était que des fournisseurs, et bien nous en avions des dizaines. Il y avait les boites d’import françaises qui faisaient déjà leur beurre en achetant des produits manufacturés à bas prix dans des pays où le code du travail est aussi mince que la silhouette de la gamine qui y bosse. Là, pas question de faire plus de 20% de rabais… La grosse part du gâteau étant déjà partie dans la fouille de l’importateur, la fameuse lampe « ethnique » à 39 euro 90 cts, et que vous avez-vous-même payée 15 euros, tu ne peux décemment pas la vendre à moins de 30…

Et puis il y avait les importations en direct… Deux trois fois par an, mon boss partait au Maroc et en Inde pour faire ses courses. Au Maroc, il faisait fabriquer des luminaires en maillechort, des chaises en fer, des tables en zellige… Bref, tout ce que tu as pu un jour admirer dans un souk, et bien on l’avait. Des containeurs entiers qu’on faisait venir de là-bas. Du coup, sachant que le grouillot marocain travail comme salopiaud mais pour pas cher, on pouvait se permettre de rogner la marge de 50% sans qu’il n’y ait péril en la demeure…

Le top c’était les meubles d’occase qu’on ramenait d’Inde… là c’était le jackpot ! 90% de marge ça te parle ? Ça veut dire qu’un truc acheté 100 là-bas, se retrouvait pour 1000 dans ton salon… Donc, tu penses bien que si je te le fais à 450 parce que tu m’as l’air sympathique, non seulement t’es content, mais en plus mon boss aussi.

Et je ne te parle même pas des marchandises à très bas prix qu’on achetait deux mois avant les soldes pour pouvoir les mettre en rayon le jour dit avec un joli prix barré… Ça c’est encore une autre histoire.

Bref, tout ça pour dire que les soldes c’est de l’arnaque. En tous cas dans mon domaine c’était de l’arnaque… J’explique, à l’origine les soldes ont été inventées pour débarrasser les commerces saisonniers de leurs invendus. Saisonnier, ça veut dire qui change avec les saisons hein ! Donc ça concerne les objets qui marchent avec des collections automnes-hiver et printemps-été. Genre les chaussures, les fringues etc, les trucs que se retrouvent momentanément obsolètes dès qu’un rayon de soleil apparait ou disparait.

Seulement, l’appât du gain a un peu changé les choses. Ceux qui n’ont rien à voir avec la météo se sont dit que eux aussi ils pouvaient se permettre de gonfler artificiellement leur chiffre d’affaire en boostant les ventes deux fois par ans. Ça marche d’autant plus que si t’es malin tu vas faire des ristournes sur des trucs avec lesquels d’habitude tu marges un max !

Du coup, le péquin moyen il est en droit de se demander pourquoi tu fais des prix pareils huit semaines par an et pas pendant le reste de l’année… Ben oui, parfois le péquin n’est pas si con qu’il en a l’air. En attendant, c’est moi qui avais l’air d’un con si par malheur un de ces impertinents péquins s’avisait de me poser la question.
Car en fait, le furet qui court comme un dératé pour faire le tour des boutiques, et qui ressort tout fier, persuadé qu’il est d’avoir fait de bonnes affaires ; Et bien la plupart du temps il court pour acheter un truc au prix qu’il aurait dû payer normalement si le magasin ne pratiquait pas des marges indécentes.
En fait gros, tu te fais arnaquer 10 mois par an, c'est ça qu'il se dit le péquin. Et il a raison.

Enfin, j’dis ça mais j’imagine que ça doit rassurer un banquier que la boutique machin-chose réussisse à réapprovisionner son compte courant…
Mon patron m’expliquait, pour tenter de pallier à ma naïveté crasse, que le but du jeu c’était de faire rentrer les liquidités dans l’entreprise… Des liquidités pourquoi faire, pour racheter d’autres marchandises, se replanter encore une fois sur 10 à 20% d’entre-elles et devoir les brader de nouveau six mois plus tard… pour ravoir encore des liquidités.

Je ne sais pas si j’ai vraiment tout compris au machin… Parce que pour moi, à l’époque et encore maintenant, tout cela ressemblait beaucoup à une espèce de fuite en avant. Un peu comme un type qui fait des sauts devant lui pour éviter de tomber… Et qui continue encore et toujours jusqu’à ce qui tombe pour de bon.

Donc, tu comprends maintenant pourquoi j’aime pas les soldes. Ça pue les soldes.

Et puis, pour tout te dire, pendant ces périodes là j’avais tellement de boulot que je bossais dix heures par jours… Je rentrais le soir chez moi crevé et énervé… Tellement que je n’avais même plus le temps d’aller les faire pour moi… les soldes. Du coup, maintenant que je ne travaille plus, et mis à part les moyens qui me manquent, et bien comme je sais comment ça marche, j’ai plus envie. Mais alors plus envie du tout.