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lundi 9 mars 2009

La forêt du grand Tétras (5)

Salut tout le monde ! Alors, on est prêt à en terminer une bonne fois pour toute avec les aventures palpitantes de notre Beau et Grand Tétras ?

C’est qu’il en aura fallut du temps pour en arriver à bout de ce zoziaux et de ses conditions de vies si particulières… Cinq épisodes en tout et pour tout ! Alors, si vous n’y voyez pas d’inconvénients, et avant d’en terminer avec cette période de ma vie, on va un peu résumer les épisodes précédents. Ok ? Rassurez-vous, je vais essayer de la faire courte !

Le Grand Tétras, Tetrao Urogalus, est un oiseau de grande taille qui affectionne les forêts profondes et peu fréquentées. Si l’on devait schématiser sa vie, on la partagerait en trois périodes essentielles: L’hiver, le printemps et l’été. Chacune des ces périodes nécessitent chez notre ami de vivre dans un milieu différent, puisque chaque période correspond à un tranche de la vie d’un Grand Tétras…
L’hiver, l’oiseau vit au ralenti. Il n’hiberne pas, mais il hiverne. La nuance sémantique est de taille puisque l’hibernation ne concerne que les mammifères (et d’un), et qu’il ne passe pas son temps à dormir (et de deux). On va dire plutôt qu’il vivote… Il attend que le temps passe en se tenant perché sur un arbre et en se nourrissant exclusivement d’aiguilles de sapin. Ce régime de merde, osons le dire, vous conviendrez que ce n’est pas l’idéal pour avoir une vie pleine de tonus ! Aussi, la principale chose que tétras demande, c’est qu’on lui foute la paix. C’est pour ça qu’il préférera des forêts clairsemées où le prédateur se voit venir de loin.
Le printemps, c’est la période de reproduction. L’accouplement, ritualisé à l’extrême, est un moment plein de bruit et de fureur… (Merci Willie !) Ca chante et ça se bat comme marin en goguette (Pour les nouveaux, je vous remets la vidéo ICI). Le milieu nécessaire à cette débauche sexuelle, c’est une forêt avec de vastes clairières que l’on nomme pour l’occasion des places de chant.
Enfin, l’été est la saison où on élève les jeunes, qui ne tardent pas à naitre de la partie de jambe en l’air du printemps… Là, les oiseaux ont besoin de MANGER. Manger beaucoup pour accumuler des réserves pour l’hiver. La nourriture doit être variée et riche. Des fruits des bois, des insectes, des jeunes pousses… Bref, le genre de truc qu’on trouve dans une strate herbacée développée. Ce qui implique donc une forêt en phase de régénération avec de la broussaille pour nourrir et planquer les jeunes.
C’est bon ? Toutes ces caractéristiques vous sont revenues en mémoire ? Bien.
Je rappelle à ceux qui prenne l’histoire en marche et qui ont la flemme de se taper les quatre épisodes précédents (ce que je comprendrais), que mon boulot à moi, c’était d’essayer de décrire un biotope optimal pour le Grand tétras, mais avec des mots de technicien forestier. L’écologie, c’est une toute autre discipline que la sylviculture, et comme les deux parties n’arrivaient pas à s’entendre, on m’a chargé de « traduire » les recommandations écologiques de protection de l’oiseau, en termes compréhensibles pour le sylviculteur.
J’ai réussi à transcrire tout ça grâce à une étude statistique combinée avec une analyse minutieuse du terrain… Et je me suis donc retrouvé un beau jour d’octobre, à devoir exposer les résultats de mon étude devant un parterre de notables… Nous en étions donc là à la fin de l’épisode précédent.

Après quelques balbutiements et quelques déglutitions forcenées, j’ai épongé d’une main la sueur qui perlait sur mon front et je me suis lancé.
Si je me souviens bien, devant moi il y avait : Les maires des communes concernées, les cadres régionaux de l’Office National des Forêts, de la Direction Départementale de l’Agriculture, du Centre Régional de la Propriété Forestière, les représentants des syndicats de chasse, ceux des éleveurs, des écologistes… Sans compter mes collègues de la réserve venus en nombre pour me soutenir. Bref, j’étais dans mes petits souliers comme vous pouvez l’imaginer.

Toujours d’après mon souvenir, j’ai ramé pendant les cinq premières minutes. Mais alors, quand je dis ramé… C’est ramé de chez ramé ! Et puis, au fur et à mesure de mon exposé les mots sont venus de plus en plus facilement et au final, il parait que je ne m’en suis pas trop mal sorti… Enfin, c’est ce qu’on m’a dit après.
Alain, mon directeur, m’avais conseillé peu avant de commencer de ne pas trop me répandre en considérations techniques… Et ce pour deux raisons :
La première était qu’avec les copies de mon rapport qu’on allait distribuer, les techniciens présents auraient largement le temps de vérifier mes chiffres à tête reposée. La seconde raison était que ma cible, les gens que je devais avant tout toucher par mes arguments, ne comprendraient rien à mes explications… Il s’agissait des chasseurs, des éleveurs et des maires… Eux seuls comptaient. C’est donc vers eux que je me suis tourné, en multipliant les analogies et les exemples (un peu comme j’ai fais avec vous).

Pour moi, si l’on voulait que le Grand Tétras se sente bien sur la Crête du Jura, il fallait conserver ce qui était bien pour lui, et améliorer ce qui l’était moins.
Essayez de visualiser une montagne. Celle-ci est couverte dans sa partie basse de forêts fermées destinées à la production de bois. Puis si l’on remonte le regard, on constate que la forêt se transforme peu à peu en pâturages… Si l’on continu à lever les yeux, et avant que ceux-ci ne touchent le ciel, vous ne verrez bientôt plus que de l’herbe et des cailloux. C’est bon ? Vous la voyez ?
Et bien, c’est dans cette zone située à mi-parcours, lorsque la forêt cède peu à peu le terrain aux prairies herbeuses que vit notre ami. C’est dans ce milieu exactement qu’il peut trouver ce qui est nécessaire à sa survie. Nourriture, vue dégagée, tout y est !
Donc, si l’on veut y faire venir plus d’oiseaux, il convient d’agrandir cette zone de transition. Les rigueurs du climat (décrites dans la partie deux), empêche de faire grandir cette zone vers le haut de la montagne. En effet, si la forêt disparait c’est pour deux raison. Le froid, et les vaches. Donc, on oubli cette solution.
Il faut donc, éclaircir les forêts situées en aval des zones de transition. Tout le problème réside dans le fait que là, on s’attaque à des propriétaires forestiers avec leur logique à eux. Et c’est là que mon expérience de la sociologie de ces propriétaires forestiers m’a été utile.
Pour faire simple, ces propriétaires sont de deux types. Les proprios producteurs et les proprios conservateurs.
Chez les proprios producteurs, leur seul souci est de produire du bois avec un minimum de cout et un maximum de revenu. Ils sont dans une logique bassement mercantile, et il est hors de question de les inciter à des pratiques écologiques de protection d’une espèce animale. A limite, ils conçoivent le bien fondé de la chose, mais… Chez les autres, pas chez eux. A moins que cela ne leur rapporte, et là on peut commencer à discuter… Aussi mes recommandations envers ce type de proprios à été de les sensibiliser à une gestion en Futaie Jardinée. Ce type de gestion, je vous en ai déjà parlé, peut se révéler des plus attractive dans ce type de région et peut générer des revenus corrects tout en conservant l’intérêt écologique du milieu. Je citais par ailleurs en exemple l’association Prosylva, qui serait à même de les conseiller sur ce type de gestion…

Ensuite, il y a les proprios conservateurs. Eux sont différents. Il s’agit la plupart du temps de familles possédant un petit bout de forêt hérité, souvent expatriées de la région, qui ne gardent cette forêt que pour des raisons affectives. Ils y viennent peu, moins d’une fois par an, et ne connaissent rien à la gestion forestière. Alors, soit ils confient cette gestion à un organisme tiers (ONF, CRPF), soit ils l’a laissent péricliter et se fermer…
Dans mes recommandations, j’enjoignais la réserve à s’impliquer auprès d’eux et de leur proposer de cogérer leur petit bout de forêt dans un souci écologique. Ce genre de propriétaires étant relativement citadins, l’argument ne pouvait que porter ses fruits. Imaginez qu’elle fierté se serait pour eux de se savoir propriétaires d’une partie de la réserve, d’un endroit où ils pourraient à loisir cheminer et pourquoi ne pas rencontrer le Grand Tétras ? Bref, il fallait communiquer avec eux en se servant de l’image de la bête comme faire valoir écologique. Il fallait qu’ils aient cette image dans la tête, bien ancrée dans leur subconscient, de façon à ce qu’ils se sentent concernés par la sauvegarde de la bestiole. De cette façon, ils seraient bien plus enclins à nous confier la gestion de leurs bois et, disons le tout net, à nous laisser faire ce que nous voulions !

Et ce que nous voulions, enfin… Ce que je jugeais devoir être fait pour améliorer le milieu, c’était d’abord et avant tout ouvrir ces forêts fermées. Eclaircir comme on dit dans le jargon.
Et c’est ici que se pose un autre problème qui peut se résumer dans cette simple question. Oui, mais avec quel argent ?
Car les travaux forestiers n’ont jamais été gratuits, vous vous doutez bien, et éclaircir une forêt qui s’est régularisée, surtout dans les bois de faibles diamètres, ne rapporte strictement rien à la vente… Il me fallait donc trouver le moyen d’ouvrir ces forêts sans que cela ne coute un sous à la réserve… (En tous cas, pas trop !)
Pour moi, il n’y avait que deux possibilités pour ça, et elle devaient être menées conjointement.
La première était de s’adresser aux missions locales de la région et de mettre en place un partenariat pour créer des chantiers d’insertions. J’avais étudié le bassin d’emploi, et je savais que le Pays de Gex ne disposait pas de telles structures. Le nombre de demandeurs d’emplois non qualifiés était suffisant pour approvisionner plusieurs chantiers et, admettons le, pour pratiquement pas un rond. De plus, la Réserve Naturelle s’inscrivait dans une démarche sociale qui ne pouvait que lui profiter en termes d’image.
La deuxième solution, m’est venue d’une expérience que j’avais connue chez nos voisins Suisses. Dans le canton de Vaud, j’avais visité une parcelle de forêt ou on utilisait les vaches pour « débroussailler » les forêts. Cette expérience était extrêmement bien suivie puisqu’il s’agissait de définir qu’elle était la charge animale nécessaire à l’entretien du milieu. En clair, il fallait savoir avec précision quel était l’impact d’une ou plusieures vache dans un milieu forestier. Les premiers résultats étant prometteurs de l’autre côté de la frontière, je proposais que l’on transpose cette expérience sur le territoire de la réserve et que nous en tirions avantage. Dans la perspective du moindre coût, c’était l’idéal. Les éleveurs agrandissaient leurs pâturages, et la qualité du lait, du fait de la diversification alimentaire, s’en trouvait grandement améliorée. On pouvait même envisager sur le long terme de vendre des fromages avec une appellation « prés-bois » ! Pourquoi pas ?

Et c’est sur cette note optimiste que j’en terminais enfin avec cet exposé.
J’eu droit à quelques applaudissements, vite étouffés par le brouhaha des conversations. Le maire de Thoiry, c’est alors adressé à l’assemblée pour me remercier de mon travail, et clore la séance… Mais je voyais déjà sur les visages de tous ces gens que mon étude avait été diversement appréciée.
Les écologistes me félicitèrent, ainsi que mes collègues de la réserve. Les alpagistes me demandèrent des précisions sur cette expérience Suisse. Les chasseurs n’étant pas concernés par mon rapport m’ignorèrent de belle manière… Mais moi, j’attendais surtout l’avis de mes pairs. J’attendais surtout que d’autres techniciens forestiers viennent juger mon travail… Et là, j’en ai pris plein la gueule.
L’ingénieur de l’ONF m’a serré froidement la main en me disant : « En somme, vous voulez réintroduire le pacage en forêt, c’est bien ça ? ». Le technicien du syndicat des propriétaires forestiers privés derrière elle (ouais c’était une femme) souriait ironiquement, comme si la seule évocation de cette pratique relevait de l’insanité mentale… J’ai balbutié une confirmation gênée, en tentant d’argumenter sur le bien-fondé d’une telle expérience… Mais c’était trop tard. Dans l’esprit de ses éminents techniciens, je venais de franchir une ligne invisible qui m’excluait définitivement de leur cercle. Me reléguant au rang d’hurluberlu écologiste, de traitre à la cause forestière. N’avais-je pas fais allusion à Prosylva ? C’était bien que je faisais partie de ces doux-dingues qui croient devoir remettre en question quatre cent ans de code forestier !
Pour être franc, je savais que mon idée d’utiliser les vaches comme outil d’ouverture du milieu était osée. Mais delà à choquer autant mes collègues des organismes d’état, je ne pensais pas. Il faut savoir que dans l’esprit d’un forestier lambda, un des principaux freins à la régénération forestière c’est l’abroutage. C’est à dire le fait que les jeunes plants d’arbres soient dévorés par un quelconque ruminant passant par là. La présence d’une compagnie de chevreuils ou de serfs sur une parcelle a un impact certain et doit être surveillée en permanence en collaboration avec les chasseurs du coin. Aussi, lorsqu’il il s’agit d’animaux domestiques, il ne faut même pas y penser ! D’ailleurs ce n’est pas pour rien si c’est strictement interdit depuis Louis XIV ! Bref, ce que j’avais préconisé relevait de l’hérésie forestière.

Je suis rentré dans ma petite chambrette, un peu déstabilisé, mais ce n’est que plus tard que je compris les véritables conséquences de mon étude. J’ai cherché pendant un an et demi à me faire embaucher dans les régions Franche-Comté et Rhône-Alpes comme technicien forestier… En pure perte. Au bout d’un an, j’ai enfin compris à la faveur d’une indiscrétion ce qui m’empêchait de trouver du boulot. J’avais été blackboulé tout simplement. Dans ce milieu relativement clos de la sylviculture, mon nom avait circulé dans la région et hors région, et j’avais désormais une réputation de fouteur de merde. J’ai, pendant un temps, été professeur dans un lycée forestier, mais au bout de quelque temps il me fallut me résoudre à quitter la région…

Et je me suis retrouvé dans ma bonne ville de Nice, ou je me suis précipité sur le premier boulot venu. J’oubliais peu à peu dans la routine du quotidien mes aspirations forestières pour me consacrer à la décoration et à la vente de meubles exotiques… Des meubles en bois noble, ce qui fait que je gardais néanmoins un lien avec mes chers arbres. Mais il s’agit là d’une toute autre histoire !

Voilà les amis ! Ainsi ce termine, un peu tristement j’en conviens, mes aventures jurassiennes !
Que puis-je vous dire pour conclure ? Je me dis parfois, qu’un peu de diplomatie m’aurait été utile. Mais en même temps, je ne regrette rien. Je sais maintenant, avec le recul qu’offrent les années, qu’il faut savoir défendre ses opinions et en assumer les conséquences. Et puis, au fil des années j’ai entendu dire que mon rapport s’était promené du côté des Pyrénées où, parait-il, il aurait rencontré quelques lecteurs intéressés… De même, si vous avez l’occasion de vous rendre dans le Pays de Gex, vous verrez de vous-mêmes que mon idée de promouvoir le Grand Tétras fur suivie des faits ! On ne parle que de lui !
Pour le reste, et bien ma foi, je crois savoir également que les idées novatrices font quand même leur chemin dans les institutions forestières… Mieux vaut tard que jamais !

Longue vie au Grand tétras !