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vendredi 15 août 2008

La forêt du Grand Tétras (2)

Bien… Où en étais-je ? Ah oui ! Ma première rencontre avec la bête… C’était lors d’un affût organisé autour d’une place de chant…
Mais avant d’aller plus loin, il faudrait peut-être que je vous décrive un peu quelles sont les caractéristiques de la vie privée du Tetrao urogalus… Ce n’est pas pour vous faire marner, mais je me dois de respecter quelques rigueurs scientifiques et narratives… Ben oui ! Si je ne vous explique pas ce qu’est une place de chant, vous ne comprendrez pas ce que je pouvais bien faire là, à cet endroit précis, à me geler les noix à cinq heures du matin ! Non ? Si ? Bon…
Grace aux lumières naturalistes de mon collègue, j’en appris donc un peu plus sur la vie de notre oiseau. Le Grand tétras, comme je vous l’ai dis auparavant, est un animal sensible aux changements du milieu. Cette sensibilité est essentiellement due au fait que chaque période de l’année induit chez lui un comportement, alimentaire et social, bien particulier. Et ce milieu, dans le Jura, le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est assez exceptionnel, du point de vue géographique comme du point de vue climatique.
Je m’explique : Le Jura est un massif montagneux assez bizarre. En effet, si l’on regarde attentivement une carte, et plus particulièrement l’orientation de son relief, on remarquera que le massif jurassien est en fait un peu comme un escalier… Imaginez donc un escalier orienté vers le sud-est. Le sol, c’est la Bresse du Jura, une zone d’étangs et de vastes forêts qui s’arrête brusquement aux environ de Lons-le-Saunier. Là se trouve la première marche. Une hausse brusque du relief, transporte le promeneur sur un premier plateau en pente douce, d’une altitude moyenne de 500 m. C’est un paysage magnifique de vallons et de pâturages. Puis arrive la deuxième marche, qui va nous faire grimper jusqu’à 700-800 m d’altitude… Là ce sont les forêts profondes du Haut Jura. Puis une troisième marche nous conduit à un dernier plateau situé entre 900 et 1000 m. On est là dans un climat rigoureux proche de la taïga russe. Le thermomètre en hiver flirte régulièrement avec les -25°C. Il est même des endroits que l’on appelle des « glacières », dont le sol ne dégèle jamais ! Enfin, dernière étape et non des moindres, la Haute Chaîne, qui emmènera le randonneur fatigué jusqu’à 1700 m sur une crête pelée, balayée par les vents et la froidure. Ce même randonneur prendra bien garde à ne pas faire un pas de plus, car s’il n’y prête pas attention, c’est la dégringolade jusque dans le lac Léman, 1300 m plus bas !
Voilà donc le Jura. Cette succession de plateau a un effet particulier sur la faune et la flore… En effet, l’escalier dont je vous parlais va accentuer l’effet du climat continental et ainsi créer en haut des marches des conditions climatiques que l’on ne rencontre qu’à partir de 2500 m dans les Alpes. On arrive à la limite de végétation arbustive, la neige perdure six mois de l’année… Bref, des conditions de vie quasi extrêmes, mais c’est dans ces conditions-la que vit le Grand Tétras.
Alors, qu’elles sont plus précisément les caractéristiques d’un biotope à Tétras ? Elles sont au nombre de trois.
Premièrement, il faut de la surface. Le Tétras est un oiseau territorial qui a besoin, pour assurer son cycle annuel, d’une superficie énorme pouvant aller jusqu’à 200 hectares par individu. C’est beaucoup. Cela implique donc que l’on doive protéger des zones de plusieurs milliers d’hectares pour pouvoir assurer la viabilité d’une population entière. La densité optimale observée, aussi bien en Scandinavie, en Russie et dans le Jura, est de 3 à 4 individus adultes au Km².
Ensuite, il faut impérativement que la zone de vie soit riche en nourriture hivernale. L’hiver, l’alimentation du Tétras est spécialisée sur quelques espèces de résineux. Dans le Jura, c’est le sapin qui est privilégié, alors que dans d’autres régions, l’animal préférera les aiguilles de pins. Il faut donc que le sylviculteur prenne garde à conserver dans sa forêt un certain nombre de hauts sapins pour assurer la survie de l’espèce. Toutefois, une dizaine d’arbres bien situés peuvent suffire à l’alimentation d’un oiseau, mais nous verrons plus loin que c’est pas aussi évident que ça à réaliser.
Enfin, l’ouverture du milieu. Le Grand tétras affectionne les forêts à faible recouvrement arborescent et arbustif pour deux raisons. Un faible recouvrement permet le développement d’une strate sous-arbustive, notamment des framboisiers et autres baies, qui constitueront l’essentiel de la nourriture estivale. Une strate herbacée est fondamentale pour la reproduction car elle est riche en insectes divers (fourmis, larves, criquets…). Cela constituera l’unique source de nourriture pour les poussins pendant les premiers mois de leur vie.
De plus le Tétras a un comportement « anti-prédateur » basé sur le fait de voir avant d’être vu. Il a donc besoin d’avoir en permanence une vue dégagée sur son environnement immédiat pour pouvoir repérer à l’avance les bestioles qui voudraient le bouloter (renard, martre, autour, lynx…). A cela s’ajoute que ce bel oiseau est un bien piètre voilier. Vous l’avez bien regardé ? Franchement, on le comparerait plus à gros hydravion des années 40 qu’à un Rafale, non ? Le fait est qu’une telle bestiole est plutôt poussive au décollage, et que son poids l’handicape lourdement (si je puis dire !) quand il s’agit de changer brusquement de trajectoire. On ne compte plus les vols de Tétras interrompus brusquement par un pylône électrique incongrument placé sur sa route…

Donc, je récapitule : En gros, il lui faut de la place, avec une forêt ouverte et quelques sapins au milieu. Concrètement ça doit ressembler à la jolie photo que vous pouvez voir ci-contre. C'est ce que l'on appelle un paysage de prés-bois, et j'y reviendrais plus tard... Je peux cependant déjà vous dire que ce paysage bucolique à souhait n’est pas qu’un don de la nature. Il est issu en fait des pratiques agricoles propres aux Hauts du Jura, c'est-à-dire essentiellement l’élevage de vaches de race Montbéliarde (Meuh !) et plus particulièrement la production de lait pour la confection du comté…


En parallèle à ce descriptif du milieu, il convient de mettre l’accent sur trois périodes-clefs de la vie de l’urogalus. L’hiver, le printemps et l’été.

L’hiver dans le Jura, c’est l’enfer pour notre ami le Tétras. Et ce pour les raisons géographiques et climatiques que je vous ai expliqué plus haut. De novembre à mars, c’est une période de vie arboricole et une alimentation quasi exclusive basée sur l’apport énergétique de quelques pousses de sapins… Vous en conviendrez avec moi, c’est pas très folichon comme nourriture, ce qui fait que l’animal est en équilibre précaire du point de vue nutritionnel.
Il est faible. Le moindre dérangement peut l’inciter à vouloir s’enfuir, à décoller, et cela lui demande énormément d’énergie. Nombreux sont les Tétras retrouvés mort d’épuisement au cœur de l’hiver pour avoir été dérangé par des randonneurs en raquettes ou des skieurs hors-pistes…
Le printemps, c’est la saison des amours ! Vers fin avril-fin mai, on assiste au rassemblement des mâles (de 3 à 6) sur des sites traditionnels où chaque coq défend alors un territoire de moins d’un hectare. La place de chant étant une arène située à la jonction des différents territoires et c’est là que les coqs, vont faire montre de leur plus belles plumes et de leur plus belle voix. Et que ça se gargarise, et que ça fait son beau ! Bonjour mesdames, zavez vu comme j’ai une belle arcade bien rouge ? Ca veut dire que je suis plein à ras bord de testostérone. Et cette queue en éventail ? Zavez vu cette Queue ? Eh ! Toi ! Dégage de ma place de chant ou je t’arrache la tête à coup de bec ! Allez Mesdames voyez comme je suis le plus beau ! Le plus fort ! Ne vous inquiétez pas, j’aurais de quoi toutes vous satisfaire ! C’est spectaculaire, violent, bruyant et ça ne dure pas très longtemps… La preuve en image, avec cette petite vidéo, que voici que voilà, tralala !



Un mois après cette débauche orgiaque, les femelles, ivres de bonheur, s’en sont retournées sur leur propre territoire et donnent naissance à une couvée d’une demi-douzaine de poussins. Commence alors l’élevage des jeunes à base de protéines d’insectes bien gras pour une croissance rapide.
L’été, c’est la mue. L’oiseau change alors de sous-vêtement pour se préparer à la saison froide. Il emmagasine de quoi tenir l’hiver, et mange à peu-près tout ce qui est comestible. Fruits, fleurs, graines, pousses, tout y passe. Jeunes comme adultes ont donc besoin d’une strate basse abondante et riche.

Voilà, en gros, quelles sont les caractéristiques d’un milieu à Grand Tétras. Vous l’aurez remarqué, c’est assez varié, et il est difficile de trouver toutes ces qualité sur une petite surface. C’est pourquoi la gestion forestière en matière de protection des tétraonidés se doit d’être considérée à une plus grande échelle que celle de la simple parcelle forestière. Il faut voir grand, à l’échelle du massif forestier tout entier. Problème : Cela implique plusieurs propriétaires, plusieures communes… Politiquement, financièrement la tâche s’en trouve grandement compliquée. C’est pourquoi le statut d’une réserve naturelle est un atout puisqu’elle fédéralise les actions et motive les financements.

Bon, on va s’arrêter là pour aujourd’hui, et surtout si vous me trouvez un peu trop nébuleux ou désordonné, n’hésitez pas à me le dire dans vos commentaires… je compte sur vous !

Pardon ? Comment-ça j’ai oublié quelque chose ? Ah oui ! Autant pour moi…
Or donc, un beau matin de mai bien frisquet je me suis retrouvé à faire le poireau dans l’espoir d’apercevoir mon premier coq de bruyère. Nous étions quatre valeureux bonhommes à nous être levé dès trois heures du mat pour pouvoir nous mettre à l’affût avant que le jour ne se lève… Nous avions choisi une place de chant connue pour être assez fréquentée et nous espérions pouvoir observer quelques bestioles… Nous nous installâmes donc sous des filets de camouflage à différents points de la place de façon à encercler la zone. Nous étions distants d’environ 50 m les uns des autres et nous ne bougions pas un cil… Les consignes étaient aussi claires que strictes. Pas de bruit, pas manger, pas fumer, rien… Il fallait être aussi immobile et silencieux qu’un gros caillou. Ce fut long, très long… Le Tétras est sensé commencé sa parade aux premières lueurs du jour. Mais ce matin là il devait faire une grasse matinée car une heure après le lever du soleil, nous n’avions encore rien vu ni rien entendu ! Je commençais à me dire que nous étions encore trop tôt dans la saison, que la chaleur du printemps n’avait pas encore réveillée ses gros paresseux. Au bout d’encore une heure de coititude, il devait être neuf heures du matin, quelque chose comme ça, j’ai craqué. J’en pouvais plus. J’avais froid, j’avais faim, j’avais envie de pisser et surtout j’avais envie de m’en griller une. Je me suis donc levé et j’ai fait quelques pas pour me dégourdir les guiboles. Le soleil était maintenant assez haut et réchauffait la clairière près de laquelle je me trouvais. Des volutes de vapeurs s’élevaient dans l’air. C’était magnifique. Du coin de l’œil, je vis un de mes camarades se lever à son tour, je le saluais de la main et continuais ma petite promenade…
Tout à coup, alors que je marchais tranquillement, un grand bruit se fit entendre à moins d’un mètre de moi. Un bruit énorme. Imaginez trois à quatre kilos de volatile se précipitant dans les herbes, ses ailes battant le sol à pleine puissance, pour prendre son envol. J’ai fais un bon sur le côté et je crois même avoir crié de surprise. Un tétras venait juste de décoller sous mes pieds ! J’eu juste le temps de tourner la tête pour voir une silhouette noire grosse comme un dindon tracer entre les branches basses des arbres pour disparaitre derrière un affleurement rocheux. Je venais de voir mon premier Tetrao urogalus ! J’en avais le cœur qui battait la chamade et les mains qui tremblaient. Ce n’était pas tant la surprise qu’il m’avait causé, le bougre, que le plaisir d’avoir enfin vu l’objet de mon travail acharné depuis deux mois. J’étais aux anges, et en même temps je me sentais coupable de l’avoir fait fuir ainsi… Mon camarade le plus proche, qui avait suivit la scène de loin, me rejoignit et me demanda de confirmer ce qu’il avait cru distinguer. Je le lui confirmais : Oui, je venais de faire ma première rencontre avec cet oiseau mythique ! Pendant les mois qui suivirent, j’eu l’occasion de l’apercevoir deux fois encore. Mais jamais je ne ressenti de nouveau cette émotion qui me submergea en cette belle matinée ensoleillée du mois de mai 1995…

Allez, les amis ! Suite au prochain épisode. On entrera dans le vif du sujet en abordant l’étude proprement-dite, c’est à dire la méthodologie et la recherche de données.

A plus !