Je voulais vous dire…


Un blog qui parle de politique, de social, d'environnement... De la vie quoi!


lundi 11 août 2008

La forêt du Grand Tétras (1)

Bien, mes amis ! Cela va faire bientôt un mois que nous n’avons pas causé de forêt. Moi, ça me manque un peu, et j’aime à supposer que c’est votre cas. Alors, en ces temps troublés où la Sarkozyte nous guette, je vais vous emmener prendre un bol d’air dans le Jura. Plus précisément sur les hauteurs du Pays de Gex, là où le Crêt de la Neige surplombe le lac Léman du haut de ses 1720 m. En 1995, je fus embauché par l’employeur chez qui j’avais réalisé mon stage de spécialisation « gestion patrimoniale des espaces boisés ». Il s’agissait de la toute jeune (à l’époque) association responsable de la gestion de la réserve naturelle de la Haute Chaîne du Jura. Il faut croire que je leur fis bonne impression pendant ma période de stage, puisque je me vis confier une étude un peu particulière. Je dis particulière car, pour autant que je sache, c’était la première fois qu’un tel travail était entrepris… Je vais donc essayer de vous raconter cette étude qui, en vrai, fit l’objet d’un rapport de 48 pages (recto-verso et hors annexes). Je dis bien « raconter »… Ne vous faites pas de bile, je vais faire en sorte de vous la narrer avec simplicité et un minimum de jargon professionnel.
Allez ! On attaque !
Comme vous le savez sans doute, ou pas, la gestion des réserves naturelles est dépendante des différentes subventions que l’on daigne bien lui octroyer. Ce qui fait que la plupart du temps, il n’y a pas beaucoup d’argent dans les caisses. De plus, contrairement à un Parc Naturel Régional qui a vocation d’assurer le développement d’une partie de région (que ce soit sur le plan touristique, culturel ou économique) et qui touche des sous de partout, la Réserve Naturelle a un but strictement conservatoire. Or, dans ces années là, l’Europe dispensait pas mal de fric pour un projet nommé : Le programme Life Tétraonidés. De quoi s’agit-il ?
En Europe donc, il existe un oiseau un peu bizarre dont le nom scientifique est Tetrao Urogalus, ou Grand tétras ou encore Grand Coq de Bruyère. Outre le fait que cet oiseau était, et est toujours, en voie de disparition, c’est également une espèce bio-indicatrice de première importance. Une espèce bio-indicatrice est une espèce, animale ou végétale, dont les besoins sont tellement spécifiques, tellement « pointus », qu’elle en devient une sorte de système d’alarme. Au moindre changement du milieu, au moindre petit problème écologique, l’espèce voit ses effectifs s’amoindrir. On se sert donc de ces bio-indicateurs pour surveiller l’environnement et quantifier l’impact de l’homme sur le territoire. Par exemple, un animal bio-indicateur assez connu est la truite, qui signale par sa présence, la qualité des eaux de rivière…
Vous comprenez donc pourquoi il est important d’étudier ces espèces, de comprendre leurs modes de vie pour pouvoir ainsi agir au mieux pour notre environnement. Et c’est pourquoi l’Europe était prête à lâcher un peu de sous pour financer tout ce qui pouvait être utile à ce mystérieux volatile.
Vous devez vous dire : Mais Gwendal, il est forestier pas ornithologue ! Quel rapport peut-il bien y avoir ? Patience mes amis, j’y arrive.
Dans le Jura, réside une population de Tétras. Oh, c’est pas folichon comme population, 300 bestioles à tout casser, mais il y en a suffisamment pour justifier le fait qu’on s’y intéresse. Le souci est que les forêts où réside ce noble oiseau sont en même temps des lieux où les pratiques humaines sont nombreuses. Il y a des pistes de ski, des pâturages et bien sur des forêts de production… Alors, on sait très bien ce qui est bon pour le Grand Tétras. Nombre d’études ont été réalisées pour décrire ce qui lui profite et ce qui le dérange. Ces études ont toutes été faites par des ornithologues affiliés à des associations de protection de la nature (Ligue pour la Protection des Oiseaux par exemple). Mais le problème avec ces études, c’est qu’un naturaliste, ça cause pas comme un forestier, fut-il technicien ou ingénieur. Le vocabulaire spécifique à l’ornithologie est absolument incompréhensible pour le forestier moyen ! Par exemple, l’ornithologue (ou le naturaliste, on va pas être raciste) va vous parler du pourcentage de couvert forestier, alors que le technicien de l’ONF ne comprend que ce qui s’exprime par des tiges à l’hectare, des surfaces terrières ou encore des volumes de Gros Bois à l’hectare… Deux mondes, deux langages.
Mon boulot à moi, en tant que technicien forestier, ça a été, d’abord, de transcrire les caractéristique du biotope du grand tétras en données directement compréhensibles et utilisables par les forestiers de terrain. Une sorte de traduction en fait. Puis ensuite, préconiser des travaux forestiers propices à la préservation de la bêbête sur le territoire de la réserve.
Vaste programme me direz-vous ! Et vous n’auriez pas tord. D’autant que le temps qui m’a été imparti pour réaliser cette étude fut de cinq mois ! A l’époque, j’étais désireux de faire mes preuves et j’acceptais donc ce challenge. J’acceptais, certes. Mais je ne savais absolument pas comment m’y prendre ! Sérieux ! J’ai dis oui à ce boulot, sans avoir la plus petite idée de comment j’allais bien pouvoir faire pour satisfaire à cette mission… Autant vous dire que mes premières semaines furent consacrées à tenter de mettre au point une méthodologie… Et puis d’abord, je savais même pas à quoi ça pouvait bien ressembler un Tetrao urogalus ! J’en avais jamais vu de ma vie, si ce n’est sur des photos. Il me fallait donc en apprendre un peu plus et essayer de comprendre ce que ce foutu zoziaux avait de si particulier…
Alors c’est quoi un Grand Tétras ? Pour répondre à cette question, je me plongeais dans la littérature spécialisée et tentais d’en apprendre le maximum sur le sujet. Gallinacé, Ok, c’est comme un poulet… De 2 Kg pour les femelles à 3,5 Kg pour les mâles : Plutôt balaise comme volatile… Envergure des ailes, de 85 à 125 cm ! Là, je me dis qu’une bestiole de ce type ne doit pas passer inaperçue… Livrée marron pour madame et smoking noir avec arcade sourcilière rouge pour monsieur : Juste la classe ! Alimentation diverse qui va de l’aiguille de sapin aux insectes en passant par des baies comme les myrtilles… Aï ! Là, cela ne m’aide pas vraiment. J’aurais préféré une alimentation plus simple, comme les koalas par exemple. Il m’aurait suffit de préconiser la sauvegarde des eucalyptus et le tour était joué… Mais non, il lui fallait un régime spécial pour chaque saison à c’t’oiseau ! Enfin, j’écoutais même des enregistrements audios pour apprendre à reconnaitre son chant si particulier (Personnellement, j’aime assez le pop, vers la fin. Comme si il faisait péter une bouteille de champagne !).
Nous étions en mars, ce qui correspond à la fin de l’hivernage chez le Tétras. Bientôt le printemps pointerait le bout de son nez et avec lui la période des amours, beaucoup plus propice à une rencontres. Pour l’instant, le mieux que j’avais à faire, c’était de chausser mes raquettes et de pister l’animal… Tel le trappeur moyen, je me mis donc à parcourir les sites où le Tétras était sensé être présent. Ce qui s’avéra une tache relativement facile en fin de compte, car je n’avais qu’à chercher ses… crottes ! Et ben oui, le tétras est un animal civilisé qui ne fait ses besoins que dans un endroit bien particulier, et toujours le même. Je n’avais donc qu’à parcourir la forêt, les yeux au sol, à la recherche de crottiers bien visibles sur la blancheur de la neige. A ma nièce, qui avait six ans à l’époque, qui me demandait ce que je faisais, je répondais que je cherchais des crottes et ça la faisait bien rigoler…
J’avais pris l’habitude de sillonner la réserve en compagnie d’un autre stagiaire, un étudiant en cynégétique, qui m’apprit tout ce qu’il fallait savoir sur le Tétras ; Son mode de vie, ses habitudes alimentaires… Bref, je commençais à cerner peu à peu l’importance de l’animal, même si jusqu’alors, je n’en avais pas vu la queue d’un. Jusqu’au jour, où, alors que je venais de passer la moitié de la nuit à l’affut près d’une place de chant, je le vis enfin…

Suite au prochain épisode !