Je voulais vous dire…


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mardi 3 mars 2009

La forêt du Grand Tétras (4)

Vous savez quoi ? Et bien ça suffit ! Y’en a marre de se morfondre et de ruminer tout en faisant la grève des relations humaines ! C’en est trop, j’ai assez hiberné comme ça, et j’ai décidé (c’est quand même moi le patron) de me remettre au boulot.
Et je me suis dit dans ma petite tête de névrosé neurasthénique, quel merveilleux symbole se serait de reprendre mes activités en terminant quelque-chose d’inachevé… C’est-t-y pas une bonne idée ça ?
Alors, pour ceux qui me suivent depuis un bout de temps, je suis sûr que cet article va vous faire plaisir, parce que vous me l’avez suffisamment réclamé. Si ce n’est pas le cas, et bien tant pis pour vous. Pour les autres, je gage qu’ils ne vont pas y comprendre grand-chose…
Aussi, je crois utile que vous vous reportiez aux trois précédents épisodes, disponibles ICI, avant que de vous plonger dans cette Forêt du Grand Tétras, quatrième et dernière partie.
Ca-y-est ? Tout le monde est au niveau ? On peut commencer ? Ok !

Alors voilà. Il y six mois, nous en étions au recueil des données et nous commencions à deviner un peu quel était le biotope le plus propice au Grand Tétras…
Et pas n’importe quel Grand tétras, mais celui de la Haute Chaine du Jura et pas un autre ! Car, nous avons vite deviné que celui-ci avait un comportement totalement différent de ses petits camarades vivants dans les forêts d’à côté. Bien sûr, comme dans la plupart des démarches scientifiques, les choses se passent ainsi. On part avec une idée, une intuition, et ensuite on recueille les informations permettant de confirmer, ou d’infirmer, cette intuition.
Donc, au bout de quelques semaines, j’avais suffisamment d’information pour pouvoir travailler… J’avais mes 248 fiches de description du milieu comme base de travail et il ne me restait plus qu’à triturer tout ça dans tous les sens pour en tirer quelque-chose…

Mon contrat avec la Réserve Naturelle se terminait fin aout. Je mis donc à profit le temps qui me restait pour bénéficier des commodités du bureau pour faire mes savants calculs statistiques. Je vais vous faire grâce de leurs descriptions, et ce pour deux raisons. La première étant que j’ai peur que ça vous gonfle un tantinet, et la seconde est que… En me relisant quatorze ans plus tard, je ne suis plus très sûr de la façon dont j’ai procédé !
C’est dingue ! Il faut croire que j’ai perdu pas mal de neurones entre temps, parce que cette partie là me parait absconde ! Alors voilà ce qu’on va faire : Je vais me faire confiance et vous allez me faire confiance à votre tour… On va dire que j’ai bien bossé et que mon étude ne souffrait d’aucune erreur statistique. D’accord ? Merci.

Or donc, je suis arrivé à résumer les caractéristiques optimales du biotope à tétraonidé dans un joli tableau que voici.



Besoin que j’explique ? Ok :
Alors, la densité je vous rappelle que c’est le nombre d’arbre que l’on trouve sur une surface donnée. Elle s’exprime en tige/hectare.
La surface terrière, c’est la surface qu’occupent tous les troncs arbres sur un hectare. C’est fait pour vous donner une idée de la grosseur des troncs que vous pouvez rencontrer…
Le volume à l’hectare, en m3/ha, ca vous permet de voir qu’elles sont vos perspectives de production de bois.
Et enfin, le couvert, c’est la surface qu’occupent l’ensemble des houppiers sur un hectare exprimé en pourcentage. Ca vous permet de « visualiser » si votre forêt est ouverte ou bien fermée. Si elle est clairièrée ou pas.

Et bien, ça y-était ! Je l’avais enfin ma description technique et forestière de ce qui se fait de mieux en matière de coin à Tétras ! J’étais pas peu fier, vous pouvez me croire !
Sauf que mon boulot n’était pas terminé… C’est bien joli d’avoir réussit à décrire une forêt avec des mots compréhensibles par le premier technicien de l’ONF venu, mais le plus important reste à faire : Il faut analyser ces chiffres et en tirer une politique, ou tout du moins, une direction vers laquelle les techniciens sont sensé tendre. Et là, je vous avoue que la galère à vraiment commencé…

Comme je vous l’ai dis plus haut, mon contrat à la Réserve a expiré fin aout, et je me suis vu demander de rendre mes résultats début octobre. Je devais, lors d’une réunion spéciale du conseil d’administration de la réserve, faire un exposé devant les notables de la région, les pontes des services forestiers de l’état, les éleveurs, les chasseurs, mes pairs… Bref, j’avais un mois pour pondre mon rapport et me préparer à la restitution orale. Sauf que je n’avais pas la moindre idée de ce que je pouvais bien dire…
Pour tromper mon angoisse en même temps que mon manque d’inspiration, je mettais au propre mes notes, préparais mon plan… Bref je rédigeais mon rapport presque entièrement, mais il me manquait l’analyse et la conclusion.
Et j’ai donc passé trois semaines dans ma chambrette sise dans un foyer de travailleur, à deux pas de la frontière avec Genève. Ca me rappelait un peu ma chambre d’étudiant à la fac… 12 m2 avec vue sur le Crêt de la Neige. De la cuisine collective on pouvait apercevoir le Mont Blanc lorsqu’il faisait beau… Bref, les conditions idéales pour bosser.
Sauf que rien ne venait. Rien de rien, quedalle. Peanuts ! Le matin, je me levais le cœur plein d’espoir, je me mettais à lire et relire mes données, mais lorsque venait le temps de concrétiser tout ça… Le néant intégral !
C’est un peu comme si j’avais réussi à récolter toutes les pièces d’un puzzle, que je les avais posées sur une table, mais que je me trouvais incapable de les réunir… C’était frustrant, et chaque jour qui passait, à la frustration se mêlait l’angoisse de l’urgence. Ce n’était plus de la rigolade. On n’était plus à l’école là ! J’avais été payé pour faire ça, j’avais une espèce de contrat moral à respecter !
Oh misère de misère ! Je voyais les jours défiler à la vitesse de l’éclair, et je n’arrivais toujours pas à mettre au clair mes idées… Pourtant, et c’est bien la seule chose qui me rassurait, tout au fond de moi, je savais que la solution était là. A ma portée. Je la sentais, je la devinais. De temps en temps, dans un moment de grâce intellectuelle, elle m’apparaissait dans toute sa clarté… Pour disparaitre en un instant à la faveur d’un clignement de paupière.

Vous connaissez ce genre de moment ? Ces moments fugaces où tout vous apparait clairement. Ces moments où le monde, cette partie du monde, vous semble apparaitre dans toute sa complexité, que les éléments qui la composent arrivent à se relier les uns aux autres en une magnifique toile d’araignée au fils subtils. Chaque fil de la toile, né d’une déduction formelle, reliant les nœuds qui sont les informations concrètes… Et le tout s’imbriquant comme par magie en une harmonie cosmique…
Et bien moi, ça m’arrive de temps en temps, et je peux vous dire que c’est pas la joie ! C’est même extrêmement agaçant ! Parce que c’est bien joli d’avoir la vision d’un système, mais si on n’arrive pas à le décrire et à le restituer, c’est comme si vous pissiez dans un violon ! Ca ne sert à rien ! (J’ai jamais bien compris d’où venait cette expression…)
Donc, de temps en temps, la solution m’apparaissait pour ensuite disparaitre, et moi je restais comme un con, à me demander si j’allais arriver un jour à la saisir et à la couchée sur le papier.
Petite digression : Je me demande si ce n’est pas là une métaphore complexe de ce qu’est ma vie ainsi que celle des autres hommes sur terre… Saisir la vérité pour pouvoir la coucher et faire plein de chose avec… Dans ce cas là, la vérité serait donc femme, et la solution de nos misères serait dotée de protubérances mammaires. Auquel cas, c’est dans le lait que se trouverait la quintessence universelle, ce qui expliquerait pourquoi les vaches sont sacrées. Je vous laisse méditer là-dessus. Fin de la digression.
Où en étais-je déjà ? Ah oui ! J’étais donc dans ma petite chambre à me torturer les méninges. A deux jours de la date fatidique, je n’avais toujours rien écrit, et commençais déjà à imaginer un stratagème pour pouvoir surseoir à mes obligations. C’est vous dire le niveau de confiance qui m’habitait à ce moment là…
Et puis soudain, la veille de mon allocution, je me suis réveillé et j’ai commencé à écrire. Les mots s’alignaient comme ils auraient dû le faire depuis longtemps ! J’avais trouvé ce que je devais faire de tous ces chiffres ! Je « voyais » précisément ce qu’il fallait faire, et surtout, le plus important, je savais l’exprimer. Je passais ma journée et une bonne partie de la nuit à rédiger la fin de mon rapport, sans même prendre le temps de m’alimenter. La machine à café se révélant, en cette période de création, ma meilleure amie. Vers deux heures du mat’, je mettais un point final à mon rapport de 48 pages. Heureux et délicieusement épuisé…
Dans mon cursus, j’ai rencontré un jour un homme qui par bien des côtés s’est révélé être pour moi un mentor. Celui-ci me déclara un jour que c’était, pour bien des personnes, souvent dans l’urgence que la capacité créatrice s’exprimait le mieux… Et il avait raison le bonhomme ! Oh que oui qu’il avait raison !

Le jour dit, je me présentais au bureau, histoire d’imprimer mon rapport en trois exemplaires et peaufiner les supports visuels nécessaires à mon exposé… Et le soir même à l’ouverture de l’AG, j’étais prêt.

Et je vais m’arrêter là pour aujourd’hui… Parce que je viens de me rendre compte que j’ai dépassé les 1600 mots, et que j’ai peur d’en avoir perdu quelques-uns en route ! Mais rassurez-vous je reviens vite parce que là, j’en ai encore au moins 1500 autres sous le coude !
Cette partie quatre ne sera donc pas la dernière mais l’avant-dernière. On se retrouve très bientôt pour la suite de mes aventures jurassiennes !