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lundi 11 mai 2009

Edward le manipulateur

Tout a commencé un vendredi matin. Ce vendredi matin. Celui de la semaine dernière si vous préférez… S’il y a une chose que j’aime bien faire en fin de semaine, c’est m’offrir une petite session de rattrapage des émissions Là-bas si j’y suis de Daniel Mermet sur le site la-bas.org. Je me coiffe de mon casque, et je passe une heure ou deux à faire des réussites en écoutant l’émission en fond sonore… C’est ça qui est bien avec la radio, on peut l’écouter tout en faisant autre chose ! Bref, je venais d’écouter parler de la séquestration d’un patron (Pardon ! Du maintien sur site…), du malaise des matons dans les geôles de la république, et je salivais déjà à la perspective de passé une heure de plus à déguster l’émission suivante, au titre plus qu’alléchant à mes yeux : Propaganda, d’Edward Bernays, ou comment manipuler l’opinion en démocratie.

Le titre et le sous-titre s’annonçaient prometteurs… Moi, j’aime assez ce genre de sujet. J’aime à décortiquer les mécanismes de la manipulation. Ça me fascine, je ne sais pas pourquoi… En fait, si je sais. C’est parce que je reste en permanence étonné par le fait que ce qui me semble à moi si évident, fonctionne aussi bien…

Une heure plus tard, complètement sidéré par les trucs que je venais d’entendre, je laissais tomber mes réussites et je me lançais dans une recherche exhaustive sur le net, histoire de dégoter un maximum d’infos sur ce sacré Edward… J’étais persuadé de tenir un sujet d’article, et je n’avais pas tord, puisque vous êtes en train de le lire.

C’est que la vie de ce monsieur Bernays a été plutôt bien remplie ! Vous n’imaginez même pas ! Et en même temps, c’est un peu normal parce qu’Edward Louis Bernays est né en 1891 et est décédé en 1995. En 104 ans de vie, on a le temps d’en faire des choses…
Donc Edward, Ed si vous préférez, est né à Vienne en Autriche. Son oncle n’est autre que le célèbre Sigmund Freud… A l’âge d’un an, il émigre avec sa famille au Etats-Unis. Il y grandira donc sous la double férule de l’oncle Sam et de l’oncle Sigmund. C'est-à-dire : Le bizness et la psychanalyse freudienne.

Très jeune, il commença sa carrière comme imprésario. Lorsque la première guerre mondiale éclate, il tente de s’engager, mais ses lointaines racines germaines l’empêchent de rejoindre les troupes d’actives. Il sera donc affecté à l’état-major, ou son boulot sera de prêcher pour l’effort de guerre.
Au sortir de la guerre il s’installe à son compte et devient une espèce de conseiller… A l’époque on ne parle pas encore de conseiller en communication, ou en marketing, de spin-doctors ni même de relation publique. Et pour cause, c’est lui, Edward, qui va inventer tous ces concepts !
Car Edward est un visionnaire. Son enfance, son éducation, l’ont persuadé d’une chose, c’est que la masse, la foule, n’est régit que par une seule chose, l’irrationnel. Le ÇA de tonton Freud… Il s’inspire également des travaux du français Gustave Le Bon sur la psychologie des foules (1895). En clair, pour Edward, l’être humain, seul, est intelligent et réfléchi, en nombre, il devient bête et manipulable.
Fort de cette certitude, il proposa ses services à de nombreuses entreprises. Un de ses faits d’arme le plus éclatant fut d’amener les femmes à fumer… Vous ne me croyez pas ? Vous pensez que j’exagère ? Et bien regardez cette vidéo tirée du film « Chomsky et Cie » et on en reparle après…


Extrait Chomsky et Cie : Normand Baillargeon
envoyé par sijysuis - Check out other Film & TV videos.



Alors ? C’est-t-y pas formidable ça ? En 1929, Ed Bernays imagine se servir du mouvement des suffragettes pour y glisser la promotion de la cigarette et ainsi amener des millions de femmes à faire ce que précédemment elle trouvait dégradant et moche… C’est ce que l’on appelle de la manipulation de l’opinion. De l’instrumentalisation.

Mais le prolifique Edward ne s’arrête pas là. Il imagine que pour qu’un produit se vende bien, celui-ci a besoin d’une caution hautement morale. La bénédiction du père si vous préférez. Pour ce faire il recrute à grand renfort de cadeaux et d’espèces sonnantes et trébuchantes, un florilège de médecins pour affirmer avec la docte assurance qui est la leur, que ledit produit est bon pour la santé. Ainsi dans les années vingt-trente on vit fleurir un peu partout des publicités vantant les vertus amincissantes de la cigarette… Son influence bénéfique sur la douceur de la voix… Bref, ici encore on instrumentalise la médecine pour promouvoir un produit. La prochaine fois que vous verrez à la télé une pub pour un dentifrice qui vous affirme qu’elle est recommandée par l’UFSBD, l’Union Française pour la Santé Bucco-Dentaire, demandez-vous si les choses ont changées en une centaine d’année… Pas vraiment. La recette est exactement la même.

Une autre de ses inventions à Edward, c’est ce que l’on appelle la bidirectionnalité du rapport entre le produit et le client. C'est-à-dire que pour lui le produit doit répondre aux attentes inavouées et subconscientes du client et communiquer en ce sens, mais également le client doit pouvoir communiquer avec son produit… Pour ce faire, il faut donc aller vers lui et carrément lui demander comment il imagine son futur produit…. Cela a beau avoir l’air simple et logique, mais Edward vient d’inventer le panel. Plus tard (1936), dans la continuité de cette idée l’institut Gallup vit le jour et ainsi commença une nouvelle ère, celle des sondages.

Vous en voulez encore des inventions à Edward ? Durant sa longue carrière, Bernays réussit à persuader les américains qu’il était sain de dévorer des tranches de bacon frits dans l’huile au petit-déj, son client était l’association de producteurs de porcs des Etats-Unis. Je n’en ai pas trouvé la preuve, mais la propagande « Got Milk ? » est inspirée/construite sur le même modèle de désinformation.
Il bosse également pur Procter & Gamble et réussit à faire acheter des millions de savons aux familles américaines en organisant des concours de sculpture. Il impose par contrat de faire fumer les cowboys dans les films d’Hollywood pour donner une image virile aux fumeurs… Après la guerre (la deuxième) il réussit via des officines dentaires crées de toute pièce, à désamorcer la peur du nucléaire en promouvant l’emploi du fluor, un résidu hautement toxique de la fabrication des bombes, dans les pâtes dentifrices… (Et oui… Ça marche encore !)

En somme Edward Bernays est le roi, the father of spin, le père de la désinformation. Bien évidemment, lorsqu’on a tellement finalisé ses théories sur le comportement des masses, et que l’on arriverait sans doute à vendre des cônes glacés à des Inuits, il est presque évident que les travaux de Bernays vont trouver une application pratique auprès des politiciens.

Dès 1921 il est embauché par le président Harding, puis par son successeur Coolidge. Grâce à une habile propagande auprès des média il réussit à faire admettre au peuple américain que Coolidge, qui était tristounet et sans envergure, était en fait un marrant plein de charisme. A cette époque il finalise sa théorie de l’engineering consent, l’ingénierie du consentement. Il considère que la masse est tellement régie par ses émotions qu’elle doit être contrôlée et restreinte par une élite. Pour lui : « La voix du peuple exprime la pensée du peuple et cette pensée est formée pour lui par ses meneurs et par les personnes qui comprennent la manipulation de l’opinion publique. (tiré de Propaganda paru en 1928) ».

Pas étonnant donc que ce genre de propos trouva une résonnance toute particulière auprès d’un certain Goebbels. Celui-ci déclara maintes fois avoir été largement inspiré dans son travail par le gentil Edward ainsi que par Gustave le Bon.

A partir des années vingt et pendant presque toute sa carrière, Bernays travailla avec les gouvernements américains successifs. Pendant la deuxième guerre mondiale il émargea à l’OSS, Office of Strategic Services, l’ancêtre de la CIA, où il travailla à l’impact psychologique de l’utilisation de l’arme atomique.

En 1950 il avait à la fois comme client la compagnie United Fruit et la CIA. La compagnie fruitière inquiète de voir ses terres menacées par le gouvernement guatémaltèque de Jacobo Arbez Guzman, et donc son monopole sur le commerce de la banane mis en danger, soumis le problème à Edward. Celui-ci imagina et orchestra une campagne de presse gigantesque pour dénoncer les dérives « communistes » de ce pauvre Guatemala… A un point tel que l’opinion publique américain en vint même à exiger que son gouvernement agisse. Le Président élu Guzman fut renversé en 1954 par un coup d’état organisé par la CIA. Il s’ensuivit alors des années de terreur, et on inventa bientôt le terme « république bananière » !

Une des dernières grandes figures politiques qui fit appel aux talents d’Edward, fut Golda Meir. Elle lui confiât la tache de mettre en place un réseau chargé de la promotion de l’image d’Israël auprès du public américain… Ainsi naquit ce que l’on appelle maintenant le lobby pro-israélien.

Edward Bernays fait partie de ces illustres sous-fifres qui façonnèrent le vingtième siècle et par là-même la société dans laquelle nous vivons. La plupart de ses clients, j’imagine, voient en lui un immense visionnaire qui fit progresser à pas de géant la société et l’économie mondiale. D’autres pourraient considérer Edward comme un psychopathe dangereux… Le fait est que ses travaux, et surtout les applications qu’il en tira, sont aujourd’hui utilisés en permanence. Dès que nous ouvrons notre télévision, dès que nous lisons un article dans un journal, il y a de fortes chances que nous soyons en présence d’une application directe de ce qui naquit un jour dans la tête de cet homme. Edward s’est inspiré des travaux de son tonton Sigmund et les a utilisés au service du libéralisme politique et économique. Je ne suis pas certain que le tonton en question lorsqu’il imagina ses théorie, pensait que l’on puisse aller si loin avec…

Alors bon, comme je n’ai pas envie de vous laisser en l’état, persuadé que vous êtes cernés et que toute protection est inutile, je vais, pour finir, vous raconter une dernière petite histoire…

En 1990, un type qui écrit alors un livre sur l’histoire des relations publiques apprend avec stupeur que le bon Edward est encore de ce monde. Il décide alors de rencontrer cette légende vivante (99 ans !). Rendez-vous est pris, et l’auteur se rend donc chez Bernays pour lui poser des questions. Malheureusement pour lui l’ancêtre a encore de la ressource et il se fait balader par ce maître de la manipulation… Un peu déçu quand même, le type va pour repartir et décide d’appeler un taxi. Bernays lui dit alors que c’est beaucoup trop cher et qu’il vaut mieux prendre les transports en commun. Puis le vieux commence à raconter que lui il n’avait jamais conduit, qu’il avait toujours eut des chauffeurs. D’ailleurs il se souvient très bien de l’un d’eux qui trimait toute la journée pour lui, et qui s’écroulait de fatigue le soir venu. Et Bernays d’ajouter : « C était le bon temps. C’était avant que les gens n’acquièrent une conscience sociale… ».

Comme quoi, au soir de sa vie, ce vieux machin qui mit au point les techniques de désinformation les plus tordues, persuada les foules de consommer des produits dont-ils n'avaient pas besoin et qui en plus étaient mauvais pour leur santé, inspira des dictatures… Ce vieux croulant, au soir de sa vie reconnaissait qu’il y avait une chose contre laquelle ses méthodes ne pouvaient rien. La conscience sociale.

Alors mes amis, cultivons-là notre conscience sociale ! Et le meilleur moyen pour commencer à le faire, c’est de connaitre la vie de ce sacré Edward !

Je vous rajoute un lien vers un article qui m’a vachement aidé, c’est sur le site : Le Crachoir.